« Pratique religieuse en baisse : effondrement ou mutation ? Regard sur notre Eglise et ses sœurs », Pasteur Didier Petit

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Exemple

« Pratique religieuse en baisse : effondrement ou mutation ? Regard sur notre Eglise et ses sœurs », Pasteur Didier Petit

Culte-débat du Dimanche 17 février 2019 au temple de Neuilly-sur-Seine

Textes à lire : Jérémie 31, 10 ; Luc 18, 8 ; Jean 14, 1-3.

La déclaration de foi de 1938 de l’Eglise Réformée de France proclamait « la perpétuité de la foi chrétienne ». Au moment où nous nous posons la question de l’éventuelle disparition du christianisme, cette déclaration de foi paraît bien optimiste !

Si on en croit les historiens, la déchristianisation de la France ne date pas d’hier, elle suit d’assez près la fin de l’Ancien Régime. A partir de la Convention et l’apparition du Culte de la Raison et de l’Etre Suprême en 1794, on parle d’une déchristianisation active, organisée par l’Etat. Mais ce phénomène est une poussée antireligieuse ponctuelle qui ne doit pas faire oublier les phénomènes plus profonds que sont la sécularisation et la déchristianisation en Europe.

Quelques exemples en guise d’état des lieux, en commençant par le cas de l’Eglise catholique.

L’année dernière paraissait un livre de Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement, où l’auteur explique l’effondrement du catholicisme en France à partir des années 60. Les traditionalistes ont longtemps expliqué le déclin catholique par la trop grande ouverture du Concile de Vatican II (1962 à 1965) et l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI en 1968 sur le mariage et la régulation des naissances. G. Cuchet montre que cet argument est insuffisant. Le catholicisme est stable en France jusqu’au début des années 60 (94 % d’une génération est baptisée, la pratique dominicale est de 25 %) ; le déclin s’amorce à ce moment-là pour arriver à 30 % de baptisés et une pratique dominicale inférieure à 2 % ! Mais Vatican II « a bon dos ». Premièrement, l’exode rural, l’urbanisation rapide et la moindre vitalité démographique des catholiques ont provoqué « la fin des réserves rurales du catholicisme ». Deuxièmement, Vatican II n’a pas provoqué mais accompagné la fin de la culture de la pratique obligatoire avec l’effacement de la notion de péché mortel. Le décrochage a été générationnel, immédiat et massif. S’ajoute enfin la conception du salut qui semblait désormais acquis pour tous.

Dans un article de La Croix, en 2002, Claire Lesegretain rappelle quelques faits : l’historien René Rémond pronostiquait récemment, dans Le Christianisme en accusation, un « effondrement général du christianisme perpétré par une sécularisation ne provenant d’aucun complot ». La sociologue Danièle Hervieu-Léger considère qu’« en France, l’Eglise catholique est entrée dans une crise dont elle ne peut pas sortir, mais que cela n’empêchera pas le christianisme de contribuer à la réflexion sur l’atomisation de la société et la dilution du lien social puisqu’il est, avec le judaïsme, la pensée de la relation et de l’autre, la pensée de l’Alliance ».

Ici, les précisions de cet article nous aident à mieux cerner les défis et les enjeux des prochaines décennies. Nous faisons face à un processus long et irréversible et il correspond, pour le christianisme historique, à un réel effacement à moyen terme, mais il ne signe pas forcément la fin de notre présence ici ni la fin de notre mission. Qu’en est-il tout d’abord de nos églises protestantes historiques ? Quel rôle peuvent-elles jouer ?

Gilles Castelnau, sur son site « Protestants dans la ville », publie des données qui confirment ce que nous venons de voir pour le christianisme en général. C’est le catholicisme qui chute le plus, mais le protestantisme historique se maintient tout juste et la montée des « évangéliques » est assez relative : elle est importante du point de vue du protestantisme, mais n’est pas un phénomène majeur à l’échelle de la France. Tout cela fait que la chute globale du christianisme en France reste un phénomène remarquable. Voyons si le protestantisme peut tirer son épingle du jeu.

Nous n’aurons pas à « payer » un célibat des prêtres mal accepté dans la population, y compris par la majorité des catholiques. Cet aspect décalé et vain n’incarnera jamais la permanence et la fiabilité de la tradition chrétienne. La crise des vocations ne nous concerne pas, puisque les facultés de théologie protestante sont pleines. Nous n’aurons pas à justifier constamment la gouvernance autoritaire d’une institution, nous n’aurons pas à nous demander si des divorcés remariés ont droit d’accès à la Sainte Cène. Bref, nous n’aurons pas pour tâche de lutter contre un réel sentiment d’étouffement. C’est déjà ça… mais est-ce que ça suffira ? Probablement pas. Quelques catholiques nous ont rejoint, c’est vrai, mais les « changements de crèmerie » ne sont pas massifs : inutile de rêver de conversions en masse. Et puis les églises chrétiennes majoritaires chez elles (Eglise anglicane au Royaume-Uni, Eglises luthériennes dans le nord de l’Europe) connaissent un effondrement comparable qui ne s’explique pas par des « défauts » catholiques romains.

Nous ne sommes pas à l’abri du vieillissement de la forme ou de l’aspect de nos rencontres. Trouver des parades à notre formalisme cultuel, c’est peut-être ici qu’il faut regarder, entre autre. Le fait de rédiger ensemble une déclaration de foi qui utilise un langage compréhensible par tous est sans doute un pas intéressant. Les textes doctrinaux avaient une vocation principalement interne, ils sont maintenant destinés à un public plus large. Il faut aussi se battre contre le discrédit généralisé dont souffrent toutes les institutions : pas seulement les églises – autoritaires ou non – mais tout ce qui avait vocation à rassembler. Nous voici avec quelques défis à relever. Mais il y en a un autre, de taille : le protestantisme historique ne représente plus la majorité des protestants français.

Le protestantisme évangélique a le vent en poupe. Mais ce n’est pas un événement religieux majeur comme l’installation de l’Islam en France qui est devenu arithmétiquement la deuxième religion de notre pays. Comment nous situer par rapport à ce changement récent ?

Il y a 26 unions d’Églises dans la Fédération protestante de France et les églises membres du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) tentent d’incarner la principale force de renouvellement de l’ensemble du protestantisme français. D’après Sébastien Fath, sur 4000 lieux de culte protestants en France, « 1400 sont luthéro-réformés et 2600 sont évangéliques ». «Les évangéliques connaissent une croissance régulière, un lieu de culte évangélique ouvre tous les dix jours en France.»

Si on considère les pratiquants réguliers pour l’ensemble du protestantisme, ils sont de l’ordre de 600.000 personnes (460.000 évangéliques et 140.000 luthéro-réformés). Les protestants culturels : deux millions de personnes (750.000 évangéliques et 1.250.000 luthéro-réformés).

Ces chiffres montrent bien l’ancrage du protestantisme historique dans la culture française et la façon dont il est perçu favorablement, même si sa pratique religieuse est relativement faible. De son côté, le protestantisme évangélique est plus nouveau, moins bien identifié par la population française mais se caractérise par une pratique religieuse plus intense.

Autre défi pour nous : la partie émergente et déjà majoritaire du protestantisme français est un protestantisme comparable à celui qui s’impose dans l’hémisphère sud. Cela donne une grande diversité d’églises et de façons de faire, sans doute, mais cela réactive un conflit théologique déjà ancien qui remonte à la naissance de ces différents mouvements.

Ces conflits intra-protestants ont pris toute leur ampleur au 19e siècle, opposant les églises luthériennes et réformées « historiques », sensiblement plus libérales, aux églises évangéliques plus orthodoxes. Ces lignes de conflits sont toujours là aujourd’hui.

Essayons de répondre à la question de départ : effondrement ou mutation ? L’effondrement est visible du côté catholique, alors que du côté protestant, il y a plutôt une sorte de maintien/recomposition, malgré une vraie érosion du protestantisme historique. Le défi de notre Eglise protestante unie de France est sans doute de faire une nouvelle fois dans son histoire l’expérience du fait minoritaire, non plus face aux catholiques mais face à d’autres protestants, avec un retour de conflits théologiques plus ou moins forts dans lesquels l’arithmétique ne nous avantage pas.

Et il ne faut pas oublier que notre Eglise n’est pas théologiquement homogène mais diverse : elle abrite aussi en son sein des tendances assez variées qui cohabitent plus ou moins facilement. C’est probablement cette cohabitation qui est notre premier défi, puisqu’il en va de notre cohésion. Et de ce côté-là, nous avons un peu de mal à nous parler ces dernières années. Il ne faudrait pas que cette situation perdure, quitte à réactiver certaines discussions. Nous avons maintenant la sagesse suffisante pour gérer les désaccords sans aller jusqu’au conflit ouvert…

Pr Didier Petit