Prédication du 28 Avril 2024

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Prédication du 28 Avril 2024

Lectures :

Actes 9/26-31

1 Jean 3/18-24

Jean 15/1-8

Changer l’humain, changer le monde !

Les textes de ce jour sont résolument tournés vers la vie des disciples du Christ Jésus, dans le temps qui suit Pâques et la Pentecôte, quand il faut continuer à vivre – dans un monde ou rien apparemment n’a véritablement changé. En tant que disciple de Jésus célébrant ce matin le Christ qui nous réunit, nous avons, chacun d’entre nous, suivi un même cheminement.

Comme pour Saul de Tarse devenu l’apôtre Paul, il y a eu un moment de conversion ; un retournement certainement moins spectaculaire pour nous que pour Paul, peut-être plus progressif, moins brutal, mais néanmoins réel, quand nous avons fait le choix d’accepter le message de l’évangile : un Dieu qui pardonne toutes nos insuffisances, qui libère et qui accueille, le Royaume qui vient.

 Puis il y a eu une autre étape, constatant que ce monde, lui, n’avait pas changé. Il a fallu s’adapter, trouver sa place, vivre cet écart entre la vision du Royaume et la réalité du monde, ses difficultés, souvent son hostilité. Il y a un mot un peu grandiloquant qui dit cela : trouver sa vocation – quoi faire de cette vie qui nous a été donnée.

Enfin il a fallu constater que l’on ne peut pas vivre sa foi seul dans son coin, c’est-à-dire accepter l’Église comme lieu de la rencontre, du partage indispensable avec les autres.  Nous avons aussi dû constater, avec les autres, que si l’Église est symboliquement le corps du Christ qui rassemble ses disciples, elle est dans son imperfection terrestre et institutionnelle un bien pâle reflet du Royaume annoncé.

Convertir le monde

Les textes que nous avons lus éclairent, chacun à sa manière ces trois étapes inévitables de ce qu’on appelle la vie chrétienne. À Jérusalem les disciples doutent de la conversion de Saul de Tarse, alias Paul, puis ils l’accueillent ; mais les Hellénistes, ces Juifs de culture grecque s’opposent violemment à lui. Ils sont pourtant issus du même environnement social et culturel que Paul lui-même : des Juifs-Pharisiens orthodoxes vivant dans un univers Gréco-Romain, loin de Jérusalem.

Paul a été changé par sa conversion, mais pas son environnement ni les préjugés qui affectent son ancien monde. Sa vocation sera de prêcher l’évangile aux païens et son souci majeur sera de faire vivre les églises qu’il fait naître par sa prédication. Car tout est à inventer, Éphèse n’est pas Corinthe, et Rome n’est pas Jérusalem.

Paul et les apôtres du premier siècle n’inaugurent rien moins qu’une étonnante révolution, un changement microscopique au départ, mais qui va bouleverser toute l’Antiquité pour arriver jusqu’à nous.

Certes les esprits chagrins diront que 2000 ans après, rien n’a changé. Je leur répondrais qu’ils sont aveugles ou de mauvaise foi, car bien sûr tout a déjà changé, mis à part la nature humaine qui répète à l’infini les mêmes erreurs. Beaucoup veulent changer les choses, les structures, la société, le monde. Ils n’ont pas tort, mais précisément, pour changer les choses il faut d’abord changer l’humain et il n’est pas très difficile de comprendre que c’est là le cœur du problème.

Vivre dans l’Église la fidélité au Christ

Pour l’auteur des lettres de Jean, la grande question est de vivre ensemble dans l’Église la vie nouvelle promise par le Christ. Nous sommes au début du deuxième siècle, le christianisme est une nouveauté mouvante, bourgeonnante, et l’Église est encore très diverse, très loin de la structure dominatrice qu’elle va devenir en se construisant sur le modèle de l’empire romain.

Les témoins visuels de Jésus disparaissent au fil du temps et des idées peu conformes aux enseignements de Jésus se répandent au sein même des églises, en particulier la Gnose. Le salut est alors présenté comme une initiation qui confère aux fidèles un statut particulier : ils se disent délivrés du péché, non par la grâce promise à tous, mais en vertu de leur savoir, de leur initiation.

La tentation est forte pour les fidèles de « faire leur salut » en suivant une voie qui se dispense de l’humilité demandée au chrétien.  Voilà un salut que l’on peut saisir, s’approprier, et qui est bien utile au croyant puisqu’il dispense des contraintes de la loi et du commandement de charité. Un salut acquis de façon définitive, qui ne sera plus remis en question. Avec cette doctrine, le fidèle s’engage sur la route du dualisme manichéen ; une doctrine illustrée au Moyen Age par l’hérésie Cathare qui distingue les « parfaits », sous-entendu les initiés séparés du monde, des « croyants » ordinaires.

La lettre de Jean a pour but de rassurer les membres de l’église qui restent fidèles à l’évangile : ce sont eux qui hériteront du royaume et de la vie éternelle s’ils acceptent le commandement d’aimer, en actions et pas seulement en paroles pieuses.  Il leur faut aussi rester fidèles au Christ Jésus mort et ressuscité, contrairement aux partisans de la Gnose qui nient la résurrection puisqu’ils distinguent le Jésus humain mort sur la croix, du Christ divin qui siège avec le Père.

Les formes les plus excessives de la gnose n’ont pas survécu, mais il y a toujours dans l’Église la tentation du dogme, de la sainte doctrine qui garantit le salut et dispense du reste.

Comment vivre « en Christ » dans ce monde

Dans le quatrième évangile, écrit au début du deuxième siècle, Jean se dispense de raconter la vie du Jésus historique. Son objectif est avant tout théologique. Il s’agit de clarifier le sens de toute cette histoire, pas d’établir une biographie, ni un catalogue complet des faits et gestes de Jésus.

Le chapitre 15 fait partie d’un long discours sur le monde commencé au chapitre 14, juste après l’annonce de la trahison de Judas, et qui se poursuit jusqu’au chapitre 17, avant l’arrestation de Jésus. Pas de miracles ni de paraboles, mais un vrai discours théologique : Jésus est le seul chemin vers le Père, celui par qui l’Esprit sera répandu sur les disciples, celui qui nous offre la réconciliation du pardon, par-delà sa mort, et la joie parfaite du salut, de la communion avec Dieu, du Royaume promis.

À dire vrai, ce discours mis par Jean dans la bouche de Jésus est sans-doute incompréhensible pour les disciples qui accompagnent Jésus à Jérusalem, avant la croix, et avant la résurrection. Il s’adresse en fait aux lecteurs de Jean, à l’aube du deuxième siècle, pour interpréter les évènements passés et la réalité présente des églises qui est complexe et difficile.  C’est un temps de conflits ; d’abord avec la synagogue qui refuse la messianité du Christ, mais aussi avec Rome qui a bien du mal à distinguer entre ces premiers chrétiens qui refusent le culte civique de l’Empereur et les juifs politiquement rebelles.

Il faut expliquer aux chrétiens tant juifs d’origine que grecs convertis, en quoi consiste cette messianité qui divinise Jésus au-delà de sa mort. En un mot, il faut fonder sur une théologie nouvelle, une nouvelle relation à Dieu, la nouvelle alliance de l’évangile en rupture avec l’attente messianique juive. Mais il faut simultanément éviter les dérives sectaires et donc fonder sur l’évangile, arrimer au message du Maître la vie des fidèles et l’action de l’Église. C’est bien sûr le sens de l’image de la vigne avec le cep qui porte les sarments. Sans cette intime connexion il n’y aura pas de fruits.

Le message est intemporel, et donc aussi valable pour nous aujourd’hui, dans un monde pas moins turbulent et instable qu’au premier siècle. Il est aussi très « pratique », ancré dans le réel car soucieux d’efficacité ; car il s’agit bien de changer le monde en changeant la relation des hommes à Dieu. Il s’agit de remplacer une dévotion utilitariste (à quoi cela sert-il de croire), par une conversion spirituelle qui échappe à la logique du monde. Tâche apparemment impossible, mais « si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé ». Autrement dit : cherchez ce lien de communion avec Jésus le Christ, hors duquel vous ne pouvez rien faire d’utile et de durable, sans lui vos efforts sont vains.

Universalité et efficacité du message

Le message du Jésus terrestre s’adressait d’abord aux Juifs. Il s’agissait de renouveler la relation à Dieu, remplacer le marchandage du sacrifice expiatoire (Dieu peut pardonner mais cela exige un sacrifice, une victime expiatoire) par l’acceptation du pardon gratuit qui ouvre les portes du Royaume à tous. La majorité des Juifs ont refusé ce message-là, surtout les responsables du Sanhédrin, les « politiques » de l’époque qui craignent pour leur pouvoir.

Le message du Christ ressuscité porté par les disciples s’adresse à toute l’humanité, sans exception. Je crois qu’il est bon et nécessaire de rappeler cette universalité du message de l’évangile à une époque qui prêche le relativisme de toute vérité, de toute forme de pensée.

Il y a d’abord l’affirmation d’une transcendance : Nous ne sommes pas en nous-même la fin et le sens de toutes choses, ce n’est pas moi d’abord, ni moi qui le vaux bien, ni toutes les injonctions à être soi-même, son propre dieu. C’est aussi le refus de se cloîtrer dans une identité donnée une fois pour toute par les hasards de la naissance.

Cette affirmation de transcendance est inséparable du second commandement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » que l’on retrouve au verset 12 du même chapitre de Jean « voici mon commandement : que vous vous aimiez les-uns les-autres comme je vous ai aimés ».

Il y a ensuite l’appel à l’action ici et maintenant, « Si vous portez beaucoup de fruit, c’est ainsi que mon Père sera glorifié, et que vous serez mes disciples ». Il ne s’agit pas de se retirer du monde, la tentation de toutes les sectes. Il s’agit d’être efficace, de véritablement « changer les choses ». Mais il y a une condition explicite et nécessaire pour une action efficace : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi (en dehors de moi) vous ne pouvez rien faire ».

S’il est une obsession de notre temps, c’est bien celle de l’efficacité, de la performance, du changement. Il faut faire bouger les choses, les discours des politiques en sont pleins. Je trouve très ironique et très juste ce rappel de l’évangéliste sur la véritable source de l’efficacité. Bien sûr cela s’adresse d’abord à l’Église et aux disciples, pas à priori aux économistes ou aux « gestionnaires ». Mais il reste que sur le long terme, je crois sincèrement que les attitudes culturelles, le logiciel des idées, des comportements humains et donc la dimension du spirituel, sont essentiels à l’efficacité recherchée.

Conclusion

Ces trois textes nous appellent à la conversion, malgré l’hostilité du monde, à la fidélité au message du Christ hors duquel il n’y a pas de salut, à la communion avec ce Christ hors duquel il n’y a pas d’action efficace pour l’Église.

Avec une promesse : « Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé » (Marc 11/24). Dans la perspective de la pentecôte, vous avez là un message d’espoir, un appel à la fermeté et un encouragement à demander l’Esprit qui, j’en suis convaincu, est ce qui fait bouger les choses.

N’hésitez pas, tout est possible à Dieu, même quand il s’agit de changer l’humain et donc le monde.


Amen