Lectures
Esaïe 55 : 6-9
6 Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; invoquez-le, tandis qu’il est près.
7 Que le méchant abandonne sa voie, et l’homme d’iniquité ses pensées ; qu’il retourne à l’Éternel, qui aura pitié de lui, à notre Dieu, qui ne se lasse pas de pardonner.
8 Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies, dit l’Éternel.
9 Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées.
Matthieu. 20 : 1-15
1 Voici, en effet, à quoi ressemble le royaume des cieux : Un maître de maison sortit tôt le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2 Il se mit d’accord avec eux sur le salaire à leur payer, une pièce d’argent par jour, et les envoya dans sa vigne.
3 Il sortit de nouveau à neuf heures du matin et en vit d’autres qui se tenaient sur la place sans rien faire.
4 Il leur dit : “Allez, vous aussi, travailler dans ma vigne et je vous donnerai un juste salaire.”
5 Et ils y allèrent. Le maître de maison sortit encore à midi, puis à trois heures de l’après-midi et fit de même.
6 Enfin, vers cinq heures du soir, il sortit et trouva d’autres hommes qui se tenaient là. Il leur demanda : “Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans rien faire ?” –
7 “Parce que personne ne nous a engagés”, répondirent-ils. Il leur dit : “Eh bien, allez, vous aussi, travailler dans ma vigne.”
8 Quand vint le soir, le maître de la vigne dit à son contremaître : “Appelle les ouvriers et paie à chacun son salaire. Tu commenceras par les derniers engagés et tu termineras par les premiers engagés.”
9 Ceux qui s’étaient mis au travail à cinq heures du soir vinrent et reçurent chacun une pièce d’argent.
10 Quand ce fut le tour des premiers embauchés, ils pensèrent qu’ils recevraient plus ; mais on leur remit aussi à chacun une pièce d’argent.
11 En la recevant, ils critiquaient le maître
12 et disaient : “Ces ouvriers engagés en dernier n’ont travaillé qu’une heure et tu les as payés comme nous qui avons supporté la fatigue d’une journée entière de travail sous un soleil brûlant !”
13 Mais le maître répondit à l’un d’eux : “Mon ami, je ne te cause aucun tort. N’as-tu pas convenu avec moi de travailler pour une pièce d’argent par jour ?
14 Prends donc ton salaire et va-t’en. Je veux donner à ce dernier embauché autant qu’à toi.
15 N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon argent ? Ou bien es-tu jaloux parce que je suis bon ?”
LE ROYAUME DES CIEUX
Le Royaume : une utopie ?
Royaume des cieux, royaume de Dieu ou vie éternelle, trois expressions qui évoquent une même réalité spirituelle, et que l’on retrouve aussi dans le livre de l’Apocalypse avec l’évocation d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle – révélation ultime et aboutissement de la création.
Dans cette nouvelle réalité, plus de pleurs, plus de souffrances, plus de guerres.
Dans la Jérusalem nouvelle, il n’y a plus de sanctuaire, c’est-à-dire plus de temples, plus d’églises, de synagogues, car le Seigneur Dieu est présent et tous peuvent le contempler. Il n’y a plus de nuit car Il est la lumière toujours présente.
Nous sommes évidemment bien loin de cet aboutissement, dans une réalité matérielle soumise à des lois incontournables, lois physiques de l’univers avec le temps irréversible porteur de finitude, donc de mort ; lois économiques qui imposent la dure réalité du labeur quotidien, de la production et de la consommation, c’est-à-dire la destruction cyclique de ressources naturelles pour une survie fragile – rien d’idéal dans tout cela.
Enfin il y a la réalité humaine, la guerre, les migrants, sans compter les violences individuelles ou collectives. Nous sommes vraiment très, très loin du paradis rêvé et la tentation est forte, très forte d’oublier l’utopie pour se replier sur soi, et se concentrer sur nos intérêts immédiats et bien réels.
Histoire du Royaume
Il reste que cette vision eschatologique a une histoire. La révélation biblique n’est pas un donné parfait qui atterrirait tout cuit dans la bouche du prophète. Dans la bible, l’espérance du Royaume c’est d’abord le rétablissement du royaume d’Israël-Juda, le royaume mythique de David, après la dure réalité de l’exil à Babylone.
C’est le thème central du livre d’Esaïe, en particulier les chapitres 40 à 55 qui s’ouvrent sur la bonne nouvelle de la restauration et du retour annoncé de l’exil : rien n’est impossible à Dieu et le futur d’Israël ne sera pas moindre que son passé puisqu’il sera « la lumière des nations » porteur d’un salut universel.
Le Seigneur n’est plus seulement le Dieu national du « peuple élu », il devient le Dieu universel qui pardonne, qui restaure sa création et la conduit vers son but.
Israël n’est que son messager, le porteur de la bonne nouvelle, sans autre privilège mais néanmoins, par sa mission, dépositaire de la gloire de Dieu.
Après la chute de Babylone aux mains des Mèdes et des Perses, après l’exil, la réalité du retour sera bien moins glorieuse. La restauration de la nation en Judée et la reconstruction du temple de Jérusalem, seront difficiles, en butte à l’hostilité de ceux qui étaient restés et qui doivent maintenant partager, restituer. En butte aussi à l’hostilité de ces étrangers arbitrairement déportés et installés en Palestine, suivant une politique cynique de déplacement forcé des populations visant à éviter toute velléité de rébellion.
Le nouvel Israël ne recouvre qu’une souveraineté toute relative au sein de l’empire Perse. Cet empire-là sera remplacé par l’éphémère empire d’Alexandre le Grand, puis par les royaumes Grecs de ses successeurs.
Ce sera même une période de persécutions sanglantes quand Antiochus IV Épiphane cherche à imposer les dieux de l’Olympe. Il place une statue de Zeus dans le Temple de Jérusalem, interdit le Chabat et persécute brutalement ceux qui refusent sa politique. La suite est la révolte des Macchabées, une guerre sanglante et une brève période de souveraineté qui se terminera dans le désordre, avec la conquête Romaine.
C’est au sein de cette histoire sanglante et mouvementée, dans laquelle Israël-Juda ne joue qu’un rôle très secondaire sur la scène politique du Moyen-Orient que naît l’espérance messianique : La venue d’un Messie Royal sur le modèle de David, le roi idéal, qui conduira Israël vers une souveraineté complète et inaugurera la soumission de toutes les nations au Dieu unique.
Il y a cependant une autre interprétation de ce Messie attendu : celle présentée dans le livre de Daniel au chapitre 7 : Dieu intronise dans le ciel une figure humaine (le fils de l’homme) et lui accorde « la domination, l’honneur et la royauté », une royauté qui durera toujours, un royaume qui ne sera jamais détruit. Avec cette vision, nous ne sommes plus dans la perspective d’un Messie Royal terrestre, mais dans celle d’une figure messianique divine qui installe une souveraineté universelle, d’un type nouveau.
L’Évangile du Royaume
L’évangile de Matthieu est tout entier consacré à démontrer aux juifs de la fin du premier siècle, que Jésus est ce messie divin, « le fils de l’homme » prophétisé par Daniel, qui accompli les écritures, et en particulier toutes les promesses du livre d’Esaïe. Il est tout à la fois l’envoyé du père dans la vision de Daniel, le serviteur souffrant du chapitre 52 d’Esaïe qui porte les péchés des hommes, et le « fils de l’homme » a qui est accordée la souveraineté éternelle du Royaume.
Quand Esaïe 55 promet du pain, du vin et du lait gratuits à tous ceux qui ont faim et soif, Jésus multiple les pains pour nourrir la foule démunie. Il est le pain de vie et des sources d’eau vives couleront de celui qui croit en lui.
Jésus est littéralement l’accomplissement des promesses de Dieu pour son peuple et pour le monde.
Encore faut-t-il s’entendre sur ce Royaume attendu. Si ce n’est plus le royaume terrestre de David, de quoi parle-t-on ?
C’est là tout le sens de la parabole des ouvriers de la onzième heure. Elle est si connue qu’il est inutile de la paraphraser. Elle n’en est pas moins choquante pour le commun des mortels qui vivent dans un monde bien réel.
Où est la justice si celui qui a travaillé onze heures n’est pas mieux récompensé que celui qui ne s’est fatigué qu’à la dernière heure du jour ? Chez Matthieu cette parabole fait suite au dialogue de Jésus avec le jeune homme riche. Un jeune homme riche et pieu demande comment il peut être sauvé pour hériter du royaume éternel, il ne se satisfait pas de la réponse de Jésus qui lui dit simplement d’obéir à la loi ; il veut faire plus pour entrer dans les bonnes grâces de Dieu. Mais, lorsque Jésus lui dit de tout vendre pour le suivre, il recule, il renonce.
Pour les disciples de Jésus l’incompréhension est totale car la demande de Jésus est vécue comme impossible à satisfaire. Si même les riches ne peuvent pas entrer dans le Royaume, qui donc pourra être sauvé ?
Matthieu place alors la parabole des ouvriers de la onzième heure : la logique de Dieu n’est pas celle des hommes (encore une référence à Esaïe 55) et le salut n’est pas dans ce que vous voulez ou pouvez faire, que ce soit peu ou beaucoup. Le jeune homme riche veut faire plus, agir pour entrer dans le royaume promis, et sa richesse est pouvoir de faire, donc d’acquérir des mérites aux yeux de Dieu. C’est ce à quoi il ne peut renoncer.
Dans l’évangile de Jean, Jésus dira que le salut, l’œuvre de Dieu, c’est de croire en celui qu’il a envoyé dans le monde : pas de faire, mais de croire afin que votre vie ait un sens et que votre action soit efficace pour le salut des humains.
Dans la parabole de Matthieu, il s’agit simplement de répondre positivement à l’invitation du maître de la vigne, de venir travailler à la vendange, et la récompense est la même pour tous, les premiers ouvriers du jour (sous-entendu les juifs) comme les derniers, ceux de la onzième heure (sous-entendu les non-juifs qui ont accepté Jésus comme Messie).
La leçon est simple. Le salut ne s’acquiert pas par vos efforts, il est don de Dieu dès lors que vous répondez à l’appel, le même pour tous, riches, puissants, ou ouvriers journaliers, juifs ou non-juifs.
Il suffit d’accepter Jésus comme le Christ, le Messie de Dieu, sans attendre un hypothétique Messie-Roi-du-monde, car le Royaume de Dieu précisément ne répond pas à la logique du monde.
Un Royaume dans le monde qui n’est pas du monde
Le juif Matthieu écrit pour convaincre ses frères juifs ; beaucoup refusent ce messie-là qui a subi la mort infamante de la croix, comment pourrait-il être le Messie-Roi attendu : absurdité inacceptable.
Ceux qui refusent le messie Jésus (les Zélotes) poursuivent leur attente d’un royaume terrestre, en 70 ils se révoltent contre les Romains. Lutte inégale avec conséquence prévisible, le temple est rasé, le culte et les sacrifices deviennent impossibles. Vous connaissez la suite de l’histoire : les juifs disciples de Jésus seront chassés de la synagogue et les « Grecs » deviendront vite majoritaires dans l’église naissante.
Dans l’histoire, l’Église s’est parfois -souvent- égarée dans la recherche d’une souveraineté terrestre et dans la vision utopique d’un Christ-Roi régnant sur la terre. C’est une tentation constante pour toutes les religions. C’est aujourd’hui la tentation de l’Islam quand il se veut politique, et de toutes les idéologies totalitaires.
Alors, si le Royaume n’est pas de ce monde, c’est qu’il correspond à une réalité qui n’est pas matérielle, il est purement spirituel, au milieu de vous, en vous.
Il est à venir : le futur de la création, mais aussi déjà là dans la communauté des croyants.
Un royaume spirituel, cela ne veut pas dire ineffectif ou inefficace. C’est votre réalité intérieure qui illumine le monde et qui lui donne sens : la réalité du monde dans laquelle vous vivez. C’est une réalité spirituelle qui inspire votre être et votre action, une action bien réelle, dans le monde réel.
C’est parce que vous êtes déjà entrés dans ce Royaume que l’Esprit peut agir en vous, à travers vous.
Si vous voulez changer le monde ? Alors cherchez d’abord le Royaume de Dieu dit Jésus, le reste vous sera donné en plus.
Amen