Prédication du 22 octobre 2023

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Prédication du 22 octobre 2023

Par le prédicateur Laïc Laurent Condamy

Frères et sœurs, chers amis,

En éditorial du Bulletin d’octobre de notre Eglise, Daniel Levesque écrit ceci : « Il nous faut faire face résolument à la page blanche de la rentrée où tout est à reprendre, avec cette année le sentiment d’être un peu orphelins puisque nous sommes sans pasteur ».

Un peu plus loin : « Cependant, une vacance pastorale, c’est aussi l’occasion de se poser quelques questions sur le confort qui consiste à recevoir sans trop se préoccuper de donner » et donc de reconsidérer « tout ce que nous déléguons aux spécialistes qualifiés, homme ou femmes, et qu’il nous revient aujourd’hui de prendre en charge nous-mêmes ».

Avec Bruno, notre pasteur jusqu’au début de l’été, c’est avec la plus soigneuse anticipation, que le petit troupeau des prédicateurs laïcs s’est réuni, à trois reprises, pour baliser au mieux les temps de culte, dimanche après dimanche. Des pasteurs d’autres paroisses ont été appelés et ont répondu présent pour que chaque dimanche, notre communauté et celles et ceux qui veulent la rejoindre, puisse se rassembler, se retrouver, prier ensemble, partager la Bonne Nouvelle.

Certainement, quel que soit le degré de connaissances et d’engagement de chacun des prédicateurs laïcs, il ne me semble qu’aucun d’entre eux ne peut prétendre au bagage qui est celui d’un pasteur lorsqu’il s’agit de porter une prédication.

Pour moi, je vous dirai très simplement qu’à chaque fois qu’il m’est donné de prendre la parole devant vous, je suis saisi des mêmes appréhensions !

La première crainte me vient de cette phrase de Jean Calvin ; je le cite : « Partout où nous voyons la Parole de Dieu être purement prêchée et écoutée, les Sacrements être administrés selon l’institution de Christ, là il ne faut douter nullement qu’il n’y ait Église ». Crainte, oui, car comment s’assurer qu’au travers d’une prédication, qui n’est qu’une parole humaine, la Parole de Dieu est « purement prêchée » ?

La seconde crainte, plus personnelle celle-là, me vient du souvenir d’un échange ancien avec l’un des paroissiens de notre Eglise, qui était prédicateur laïc et était fort investi dans la marche de notre paroisse ; lors de l’une de nos séances de travail, il m’avait dit : « Il ne s’agit pas de dire des ressentis personnels, mais de prêcher la Parole ».

Coincé entre ces deux injonctions, la position me semble souvent inconfortable ! Et puis vient le moment de se lancer.

Souvent, au début d’une prédication, comme une forme d’antienne, le prédicateur du jour commence par : « Nous avons lu ces textes. Ecrits il y a 2000 ans, lus et relus, ils sont bien anciens… Que peuvent-ils nous dire aujourd’hui ? Comment les comprendre et les vivre ? ».

Eh bien, pour les textes que j’ai retenus, non, ils ne me semblent ni provenir de temps reculés, ni devoir être réinterprétés avec nos yeux de maintenant.

Dans ce qui me fait de plus en plus m’interroger aujourd’hui, ce sont toutes ces revendications identitaires, ce besoin qu’éprouvent bien de nos contemporains de s’autodéfinir aux yeux des autres, comme appartenant à telle ou telle mouvance de pensée, de groupe social, de genre, de préférences, etc. etc.

De religion aussi. On affiche publiquement ce que nos penseurs de maintenant définissent comme le « fait religieux » ; un certain nombre de nos contemporains affichent publiquement leurs croyances, les revendiquent parfois. L’apparence vestimentaire y joue un grand rôle et devient l’un des signes autoproclamés de l’appartenance à telle ou telle religion.

Chers frères et sœurs, je reconnais que ce sujet est sensible ; régulièrement, les plus hautes instances politiques et régulatrices de notre Etat de droit, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat sont saisis de de ce sujet ; le législateur suit ou ne suit pas. Il pourrait d’ailleurs être intéressant qu’un jour notre communauté réfléchisse à ceci, comme elle l’avait fait lors de l’adoption des textes relatifs au mariage pour tous.

Mais, à mon aune, il me semble que c’est confondre l’écorce et l’arbre. C’est, de nouveau, selon mon approche, faire prévaloir ce qui ressort du visible sur ce qui appartient d’abord à l’intime. C’est instrumentaliser, c’est donner à croire que, par l’extérieur, par le port de tel ou tel signe que l’on qualifie de « religieux », on est une femme ou un homme de piété… Or, quelle que soit la confession de chacun, elle devrait relever d’une certaine intimité, d’une discrétion, notamment dans l’espace public ou nous nous côtoyons tous.

Ainsi, conjoncturellement mais aussi de manière profonde, structurelle, ces deux passages de Matthieu, d’un côté en Matthieu 5, de l’autre en Matthieu 6 à mes yeux, me frappent par leur une pleine actualité.

Mais ne sont-ils pas quelque peu antinomiques entre eux ?

D’un côté, Matthieu écrit : « Vous êtes le sel de la terre » puis « vous êtes la lumière du monde » … « que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux » … Ce qui semble induire un comportement qui soit publiquement appréhendable par autrui…

Et de l’autre, un peu plus loin, ces injonctions faites d’être discret dans la prière, dans l’aumône, dans le jeune…

Comment se placer ? C’est ce que je me suis proposé de tenter de partager avec vous ce matin.

Et que je résume comme suit :

Extériorité. Intériorité. Deux approches, deux temps.

  1. Extériorité :

L’extériorité d’une démarche de foi, tant les paroles d’Esaïe que celles de Matthieu les rejettent.

« Cessez d’apporter de vaines offrandes : la fumée, je l’ai en horreur ! Vos néoménies et vos solennités, je les déteste, elles me sont un fardeau, je suis las de les supporter ! Lavez-vous, purifiez-vous. Otez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, mettez au pas l’exacteur, faites droit à l’orphelin, prenez la défense de la veuve ».

Autrement dit. Au visible, aux déclarations et solennités publiques, à l’ostentation, à l’affichage, préférons une vérité d’actes, une recherche intérieure de ce qui est bien, de ce qui est juste. Plutôt que de multiplier les actions extérieures, travaillons à aider celui qui est à nos côtés et qui est le plus faible, le plus petit. Esaïe cite l’orphelin et la veuve, qui étaient alors les plus vulnérables des communautés humaines. Il est en bien d’autres de nos jours et c’est vers eux que les actions doivent se porter, concrètement et activement, sans qu’il soit souhaitable d’en faire l’étalage.

Mise en garde donc en Matthieu 6, en évoquant trois des piliers d’une vie de foi, la prière, l’aumône (que je réactualise en don, ce mot me semblant plus contemporain) et enfin le jeûne. Trois temps qui sont au centre des chacune des religions.

Pour chacun de ces trois temps, alors que nous sommes au centre du Sermon sur la montagne, Matthieu revient sur ces trois axes fondamentaux qui articulent toute religion, et plus particulièrement la piété juive de ce temps. Avec Matthieu, ces trois temps, ces trois relations, celle à nos frères et sœurs avec le don, celle à Dieu avec la prière, celle à soi avec le jeûne, sont données à vivre sous le signe d’une exigence de vérité sans faille.

Sous la plume de l’évangéliste, la vérité et l’hypocrisie sont opposées de manière parfaitement antinomiques et la mise en garde contre le piège de l’extériorité est claire :

« Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards ».

Pour le partage, pour le don, tout d’abord, pas d’ostentation, pas d’extériorité. Parce que nous nous savons, intimement, fille et fils de Dieu, nos agissements se font sous le regard permanent du Père. « Ton Père qui voit dans le secret », « Ton Père qui est là », cette présence est rappelée et ce mot de « secret » est dit, à deux reprises. Ici, celui qui claironne son geste, celui-là cherche d’abord à « être glorifié par les hommes » ; et s’il adopte cette posture, alors, « il a reçu sa récompense ».

Mais pour celui dont « l’aumône reste dans le secret », celui là est alors pleinement dans la relation au Père. Et ce que la main gauche fait, que la main droite l’ignore. C’est-à-dire, en langage de maintenant : ce que ta main droite a donné, que ta main gauche l’ignore. Et, dans la mesure où cette main gauche ignore ce qu’a fait la main droite, eh bien ! qu’elle donne, elle aussi. La main n’est que l’instrument. Je gage que le trésorier de notre Eglise appréciera…

Pour la prière, alors que dans les religions antiques, elle était un acte public, institutionnalisé, Matthieu nous invite au secret de la chambre ; pas de publicité, pas de médiation. La prière est du ressort de l’intime, de la relation directe de l’enfant avec le Père. Et dans cette relation filiale, confiante, d’abandon, il n’y a vraiment aucune place pour une quelconque extériorité. Prier, c’est un acte de foi ; prier, c’est une remise entre les mains du Père, qui sait déjà – et plus intimement que nous-mêmes – ce dont nous avons besoin, mais qui attend que nous le formulions, que nous nous ouvrions. Certes, nous tous ici pratiquons et attendons, dimanche après dimanche, tout ce que nous recevons, tout ce que nous échangeons dans la prière communautaire, et ceci est important pour chacun d’entre nous et pour nous tous, petits maillons d’une seule et même chaîne. Mais chacun et chacune de nous prie d’abord en son cœur, et la prière est secrète, en un échange personnel et direct, sans médiation et sans tiers à la relation qui se noue à ce moment précis.

Le jeûne enfin. Là encore, pas d’extériorité ; au contraire, afin que personne ne sache ce qui est alors fait, une invitation à « se parfumer la tête », à se « laver le visage » ; prendre une mine contrite, marquer visiblement ce que l’on fait, c’est de nouveau une bien vaine gloriole, c’est alors attendre le compliment pour une expression visible d’une piété ; mais alors, c’est une fois de plus se tromper en privilégiant ce qui est visible, et qui ressort de l’ostentation, de la recherche du compliment, mais qui n’est en rien un acte de foi. De nouveau, l’évangéliste écrit deux fois le mot de « secret ». Le jeûne, c’est, pour reprendre une phrase écrite par deux théologiens, Colette et Jean-Paul Deremble, « créer les conditions du manque qui permet de recevoir l’Autre en plénitude. En faire publicité ou ascèse pénible est un contre-sens. Jésus annonce, par Matthieu, la fête d’une rencontre ». Une publicité est hypocrite.

Le message est donc clair : réservez au dialogue avec le Seigneur ce qui ressort de l’intimité, de la relation vraie avec le Père. Pour parler simplement, apprécierions-nous que ce qui ressort de l’intime, du tête-à-tête entre la personne aimée et chacun de nous soit donné à voir publiquement ? Certainement pas. A plus forte raison lorsque nous nous tournons vers le Seigneur, dans la relation filiale qu’il veut pour nous.

Oui, mais, par ailleurs, ce même Matthieu n’y va pas de main morte : nous voici « sel de la terre », « lampe allumée », « lumière du monde ».

  1. Intériorité :

Cette lumière du monde, c’est en effet chacune et chacun d’entre nous, c’est ce qui nous est propre, qui ne peut jamais nous être ôtée.

Lorsque, sous la plume de Matthieu, Christ dit « que votre lumière brille sur ceux qui vous entourent », c’est bien de celle qui est en nous dont il parle et dont il ne doute pas. Lumière, oui, nous le sommes, lorsque nous sourions à l’autre, lorsque nous prenons sa main, lorsque, par notre écoute, même silencieuse, ou nos paroles et nos actes, nous allons vers chacune et chacun de nos frères. Et alors, dans chacun de ces moments où, en nous décentrant, nous considérons celle ou celui qui se présente à nous dans toute sa propre altérité, sa propre unicité, alors oui, vraiment, nous sommes la lumière du monde. Et ce n’est pas rien.

Ou encore, « sel de la terre », c’est-à-dire celui celle ou celui qui rehausse le goût, qui communique une saveur, un élan.

Lumière, sel. Notre être intime est alors comme une lampe que l’on met sur un chandelier, plus exactement sur LE chandelier. Dans une prédication qu’il donna au temple de l’Etoile en 2008, le pasteur Marc Pernot rappela que, dans le contexte du peuple hébreu où vivaitt Jésus, LE chandelier, c’est la menora, au cœur du temple de Jérusalem, « symbolisant la présence de Dieu au milieu de son peuple et au plus profond de chacun de nous ».

Cette lampe allumée, frère et sœurs, je la vois moins comme un phare, comme quelque chose de brillant et d’un peu aveuglant, que comme une veilleuse dont la clarté brille doucement mais sûrement.

Il n’y a pas d’ostentation en elle, il n’y a pas à chercher à établir des comparaisons entre telle et telle lumière ; mais il y a à se réjouir de ce qu’elle rayonne. Et cette lumière-là, c’est la lumière intérieure de chacune et de chacun d’entre nous, qui nous relie les uns aux autres.

Alors, oui, parfois, cette lampe est mise sous le boisseau ; parfois par nous, parfois par le fait de contraintes extérieures. Ce n’est pas grave, mais alors rien ne nous empêche et tout nous pousse dans ces moments-là à nous rappeler cette strophe que nous chantons parfois : « Ne laisse pas les ténèbres me parler », que je trouve toujours belle et profonde.

Frères et sœurs, il est largement temps de mettre un terme à ce temps de parole. Je ne suis pas certain d’avoir été bien clair aujourd’hui.

Aussi je conclurai par ces versets du psaume 36 :

« Eternel, que ton amour est élevé,

Tu es la source de la vie,

Par ta lumière nous avons reconnu la lumière ».

Amen.