Les tentations de Jésus, par Jean-Gabriel Bliek

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Exemple

Les tentations de Jésus, par Jean-Gabriel Bliek

Lecture : Mathieu (4, 1-11)

Chers Amis,

Ce texte très connu qui introduit trois tentations de Jésus ne manque pas de nous surprendre par sa simplicité apparente d’exposition et sa complexité de signification.

Ce texte est une parabole où Jesus et  le diable au cours de ces trois tentations se livrent à une suite de questions réponses qui semblent sans conclusion définitive.

D’où vient ce sentiment de difficulté ?

La difficulté principale touche à l’essentiel. Elle touche au mot tentation. On évoque le tentateur de Jesus. Dans le Notre Père, on psalmodie « ne nous soumets pas à la tentation ». Mais quelle est la signification de cette tentation ? Les linguistes nous font remarquer qu’on peut traduire le même mot grec par tentation ou épreuve. S’agit-il donc de tentations ou d’épreuves ? Là est la question.

A y regarder de près, dans ce texte, les réponses de Jésus sont précédées toutes par « il est écrit » : en ce temps là, Jesus ne pouvait faire référence qu’à la Tohra ! Le lien entre les déclarations de Jésus et l’Ancien Testament est clairement affirmé par Mathieu. Un clin d’œil appuyé est même lancé aux lecteurs quand on précise que Jesus à jeuner pendant 40 jours dans le désert, à l’image du peuple juif qui a erré pendant quarante ans dans le désert en attendant d’arriver dans la Terre promise.

Tout comme le peuple juif errant dans le désert, tout comme Abraham ou Job, Dieu a mis à l’épreuve Jesus en le plaçant dans le désert. C’est l’Esprit qui place Jesus dans le désert.

 Mais, ne confondons pas mise à l’épreuve et la tentation. Dieu ne tente pas. Et le diable qui tente n’est jamais décrit. Qui peut-il être ?

P. Ricoeur dit que le pêcheur ne peut admettre son propre statut de pêcheur. Le pécheur a besoin d’un double pour se délester de sa mauvaise conscience. Le diable est en quelque sorte le miroir de notre propre péché, plus supportable car différent de nous.

Dans Jacques (1,14), on nous donne la clé quand on lit « chacun est tenté par sa propre convoitise ». Dieu met à l’épreuve mais la tentation vient de l’homme.

C’est bien ce que nous dit le philosophe V Jankelevitch qui se moque avec humour de tous ceux qui croient que la tentation du péché est extérieure à l’homme. « Le péché ressemblerait à ces gros mots que le jeune bourgeois rapporte de la caserne ou à ces maladies que l’enfant de bonne famille attrape à l’école communale ; le péché est, comme la fièvre scarlatine, une chose qui s’attrape ; en sorte que si l’homme est méchant, c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre ».  Dans cette parabole, Jesus en étant confronté au diable est confronté à lui-même et Jesus, c’est chacun de nous.

Ainsi Jesus est à l’image de tous les hommes placés dans l’épreuve, confrontés à leur propre convoitise. L’homme est placé dans cette situation depuis que Adam et Eve ont mangé du fruit de l’arbre du bien et du mal. C’est-à-dire depuis que l’homme a voulu se livrer à sa propre loi et définir le bien et le mal sans référence à Dieu. Pour Calvin, le péché consiste à vouloir être Dieu pour accéder à sa puissance.

Dans cette parabole, ce que Dieu met à l’épreuve, chez les hommes qui se sont affranchis de la loi de Dieu et qui sont voué à la volonté de puissance, c’est la foi. La foi qui est avant tout chemin de retour vers Dieu.

Quelles sont alors les trois tentations auxquelles est soumis Jesus ?

Remarquons, d’abord, qu’au début, Jésus a faim et a jeuné : il est affaibli et mis à l’épreuve. A la fin, les anges l’accompagnent et s’occupent de lui, l’épreuve terminée et surmontée. Entre le début éprouvant et la fin consolante, la course d’obstacles des tentations monte en puissance et sont de nature différente.

Il y a une gradation dans l’altitude des tentations. La première se situe dans le désert au ras du sol. La deuxième, au sommet du Temple et la dernière au sommet de la montagne.

Voyons de quoi il en retourne. Dans la première tentation, « ordonne que ces pierres deviennent des pains », la tentation apparait alors que Jésus a faim. La tentation, c’est de pouvoir satisfaire sa faim, c’est-à-dire satisfaire tous ses besoins. Avec la possibilité ouverte de satisfaire tous ses besoins sans limite, on en vient vite à faire de la satisfaction de ses besoins le seul sens de sa vie. C’est la tentation économique dont l’argent est le moteur. Or, Jésus affirme que le sens de la vie, c’est la parole de Dieu qui la donne.

La deuxième tentation, au sommet du Temple, « jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. ». Remarquons que c’est le texte de la Torah qui est utilisé puisque le diable dit « il est écrit ». C’est une tentation spirituelle qui consiste à  détourner un passage de la bible à ses propres fins pour justifier ses actions. C’est couper de son sens un texte et se couper du sens de la révélation de Dieu. Jesus y oppose le « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». On ne peut pas obliger Dieu à agir. Dieu n’est pas un Spiderman qui sur commande jetterait ses filets.

La dernière tentation, c’est quand au sommet de la montagne le diable « montre tous les royaumes du monde et leur gloire et lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. ». C’est la tentation politique de domination. La soif inextinguible de pouvoir, qui est le nom d’une autre convoitise. Avec comme devise, la fin justifie les moyens. Cynisme et volonté de puissance. C’est pour les amateurs de la Guerre des Etoiles l’aspiration à être un autre Dark Vador.  Jesus y oppose comme un chevalier Jedei le seul culte à rendre à Dieu.

Qu’en tirer comme enseignement de ces trois tentations ?

Une remarque d’ordre général. Jésus refuse de s’approprier un miracle ; il ne cherche pas à épater la galerie Le Diable propose à l’homme d’exercer la puissance sans limite, d’effectuer le « miracle de puissance à l’état pur » comme le dit J Ellul. Chaque individu est porté à vouloir exercer la puissance sur les autres. Mais, comme disait Pierre Dac en 1943 sur Radio Londres, à un moment où la puissance militaire battait son plein : « il y a des limites à tout et des bornes pour le reste ».  Ce qu’oppose Jesus au diable, c’est l’idée de limite. 

La limite est nécessaire. Dans l’éducation d’un enfant, ne lui inculque t on l’idée de limite comme fondement élémentaire de la vie. Cela lui permet de se construire. Un être qui n’a pas acquis l’idée de limite est un danger pour les autres. La limite est aussi protectrice pour soi. Dans toutes les addictions, la première limite est de se tenir loin de ce qui peut tenter, comme l’alcoolique se tient loin de la bouteille.

Il y a une limite à la satisfaction de nos besoins, à notre volonté de puissance, à notre auto-justification et critique de l’autre. En cela, Jesus montre le chemin de la foi, du retour vers Dieu.

Ces limites se retrouvent dans ces trois tentations économique, spirituelle et politique. L’argent, la religion, la politique ne sont pas dévalorisés mais désacralisés et remis à leur juste place et donc limités dans leur sphère d’action.

Les hommes recherchent l’argent pour satisfaire leurs besoins ; ils aspirent à une recherche de sens et à organiser la vie collective. Quoi de plus naturel. Ces trois domaines ne sauraient être aboli.

Dans chaque domaine, il ne s’agit pas d’émettre une condamnation mais de poser une limite. Ce qui est difficile, pour chacun de nous, c’est d’être soumis aux mêmes tentations que le Christ dans la vie courante. Quand bien même on sait qu’on franchit la limite, on éprouve une vive satisfaction : « le pouvoir sans les abus n’a pas de charme » disait P Valery. La tentation est bourrée d’attraits.

Chacun est à l’image du Christ dans cette parabole soumis à sa propre convoitise par l’attrait de l’argent, des rapports de force et des jugements. Il est humain d’être tenté, et divin de résister semble nous dire le Christ.

Comprenons la facilité de la tentation et résistons à la facilité, comme nous le pouvons.

Amen