Daniel dans la fosse aux lions, par Jean-Gabriel Bliek

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Exemple

Daniel dans la fosse aux lions, par Jean-Gabriel Bliek

Lecture : Daniel 6 versets 1-30

Chers Amis,

Ce texte donne rarement lieu à une prédication. Pourquoi ? Pourtant, Ce texte est particulièrement connu et met en scène Daniel dans un situation dramatique et très frappante pour les esprits des adultes et les imaginations des enfants. Il se situe dans l’exil à Babylone du peuple juif ; le peuple juif a vu son Temple détruit et se trouve coupé de ses racines. C’est le moment où le peuple juif se demande ce qu’il va devenir ?

La figure de Daniel est centrale aussi bien pour le judaisme que pour  le christianisme. Les juifs sont très attachés à Daniel et voit en lui celui qui a refusé de s’assimiler et qui a choisi de garder les traditions ancestrales. Les chrétiens y ont vu en quelque sorte une préfiguration du Christ. Certes, le christianisme comme le judaïsme ont vu dans la figure de Daniel une figure importante. Mais quel est le message de Daniel au-delà de l’histoire miraculeuse ?

Voyons d’abord de plus près l’histoire de Daniel et pour ensuite en tirer des éléments d’interprétation.

  1. L’histoire de Daniel

Tout commence par un complot. Aujourd’hui quand on évoque une rencontre pour monter une machination on est vite taxé de complotisme : du coup tout le contenu de la machination qu’on évoque rélève automatiquement du farfelu ou de la fable inventé de toute pièce.  Cela n’existe pas. Le monde actuel est un monde au grand jour, sans la moindre opacité.

Mais là, dans la Bible, on n’a pas peur de l’affirmer : les chefs complotent. Ce complot est ourdi par les chefs et les satrapes mèdes qui s’inquiètent de voir l’importance grandissante de Daniel : de membre du triumvirat des chefs Daniel risque de devenir le second de Darius.

La jalousie plus que l’antisémitisme est en action dans cette tentative d’élimination. Comme le disait Grimaldi dans son analyse de l’œuvre de Proust centré presqu’exclusivement sur la jalousie : « la jalousie est une secrète dépréciation de soi-même ». La femme jalouse n’est pas jalouse car elle aime trop ; mais elle est jalouse car elle est persuadée que son homme va bientôt s’apercevoir qu’elle n’est pas à la hauteur et ira fatalement en chercher une autre. Elle fait tout pour empêcher qu’il puisse voir d’autres femmes en lui rendant la vie impossible.

Les chefs et satrapes voient bien la supériorité manifeste de Daniel et ne voit qu’une seule solution pour mettre un terme à leur jalousie : son élimination avant que Darius ne les rabaisse définitivement.

Pour cela, il faut faire tomber Daniel dans un piège. Monter un piège de toute pièce marche rarement. Le plus efficace, c’est encore de s’appuyer sur le comportement naturel de la victime.  Daniel prie son Dieu : pour le prendre en faute il faut rendre toute prière illégale durant 30 jours si la prière n’est pas adressée à Darius.

Daniel comprend bien le piège. Il aurait pu comme cela est possible à tous les juifs s’isoler pour prier. Or, il se met devant la fenêtre grande ouverte, au vu et au su de tous. C’est là le point fondamental. Pourquoi ne se cache t il pas ?

Mieux encore : il se met à genoux face à Jérusalem. Les juifs ne prient pas à genoux sauf dans le Temple de Jérusalem. Dans la Bible rare sont ceux qui prient à genoux. Le premier à s’être mis à genoux est le roi Salomon quand il s’est agi de dédier le Temple à Dieu (Roi 1 8-54). Esdras (Esdras 9 verset 5-6) s’est mis à genoux quand il a su que des juifs s’étaient unis avec des non juifs, contrevenant à la loi de Moïse, le Temple une fois reconstuit et les juifs revenus en Israel.

En se mettant à genoux, On voit bien chez Daniel l’allusion au Temple perdu. En se tournant vers Jérusalem, on comprend bien la place de Jérusalem pour les juifs en exil.

En refusant de se plier à cet édit, Daniel semble montrer la voie de la conservation coûte que coûte de la religion et des rites comme ciment de l’unité et de l’identité du peuple juif. En cela, Daniel refuse, selon les commentateurs juifs, l’assimilation, fût-ce au prix de la punition. Punition encore une fois qui ne vient pas de l’antisémitisme de Darius qui connait la religion de Daniel et la respecte.

Force est bien alors à Darius, même à son corps défendant, de punir Daniel pour se confirmer à son propre édit.

Remarque révélatrice : en jetant Daniel dans la fosse aux lions Darius impose son sceau mais tous les chefs et satrapes imposent le leur sur la pierre qui scelle la fosse. Preuve supplémentaire que les satrapes supposent que Darius veut sauver Daniel et ne lui font pas confiance pour respecter son propre édit. Darius ne peut sauver Daniel car il briserait leurs sceaux en descellant la pierre.

Dans le Daniel grec, il est précisé qu’il y avait 7 lions qui mangeaient chaque jour deux corps et deux brebis et pour Daniel on les a fait jeuner pour être sûr du résultat.

La suite est bien connue : Darius fou d’inquiétude se précipite au petit matin pour voir Daniel qui  sort vivant car un messager de Dieu a fermé  la bouche des lions.

En représailles Darius fait jeter les 120 satrapes leurs femmes et leurs enfants dans la fosse et ils périrent tous arrivés au fond de la fosse. On se demande bien combien il y avait vraiment de lions pour aboutir à un tel résultat. On est plus dans l’allégorie que dans le journalisme, n’en déplaise à tous les souvenirs d’images merveilleuses.

  • Quel sens à donner ce recit ?

Pourquoi les lions ? Les lions sont mis en captivité à Babylone pour être ensuite chassés : nous avons des sculptures nous les montrant ; ils représentent la force brutale qu’on doit affronter.

Les juifs voient dans Daniel en quelque sorte un réformateur du judaisme : Daniel insiste sur la nécessité pour le peuple juif de rester fidèle à la tradition,  de rester fidèle aux 3 prière rituelles, et de rester fidèle à l’idée de Jérusalen comme centre spirituel quelles que soient les circonstances. Il y a un avant et un après Daniel dans le refus de l’assimilation loin de la Terre d’Israel.

Les Chrétiens ne sont pas en reste pour voir dans Daniel une figure centrale : ils y ont vu une anticipation du Christ : Daniel sorti vainqueur de la mort assurée, c’est par analogie la résurrection du Christ.

Quel sens cela a-t-il aujourd’hui pour nous?

Dans le langage courant, toujours révélateur des interprétations, la fosse aux lions désigne l’épreuve qu’on doit affronter. Je vais descendre dans la fosse aux lions dit on comme si l‘étape était inévitable. Cette fosse aux lions peut prendre différentes formes.

Pour les soldats récemment mobilisés, c’est l’épreuve du feu. Pour tous les débutants c’est le temps des commencements où la performance est jugée sans indulgence. Quand on est avocat pénaliste, c’est la première plaidoirie, quand on est joueur professionnel, c’est le premier match, bref c’est le  moment  où les autres jugent la valeur de notre performance.

En un mot, La fosse aux lions c’est le moment où il faut être à la hauteur.

Ne suis-je pas moi-même dans la fosse aux lions en ce moment ? Je contemple surtout les lionnes car dans le monde animal c’est la lionne qui chasse quand le lion avec sagesse reste assis à l’ombre….

Mais, cela resume t il le sens de cette allégorie ? Non, car tout ceci décrit des  épreuves choisies et dans le cas de Daniel c’est une épreuve qu’on lui fait subir, qui plus est de façon vicieuse.

Etre jeté dans la fosse aux lions affamés, cela représente aussi tous les moments où on est mis volontairement en situation difficile, où on attend de nous un renoncement à ce que l’on est. Le tout pour se débarrasser de nous. Il y a dans ce jeu une part secrètement jubilatoire et vicieuse : pas de place pour la bienveillance, pas de quartier.

On est tous destiné à être à un moment Daniel. Et n’est on pas aussi chacun d’entre nous Daniel et les lions à tour de rôle ? On se plaint des lions quand on se retrouve dans la position de Daniel mais qu’a-t-on fait quand on était à la place des lions ?

Ce qui empêche les lions de dévorer Daniel c’est l’envoyer de Dieu qui rappelle à chacun à avoir de l’agapé, de la compassion, de l’entraide.

Cette  fosse aux lions, elle peut prendre bien des formes.

Un célèbre psychiatre Karpman en 1968 nous dit que dans les relations humaines, familiales, professionnelles ou amicales, un triangle se forme presqu’inévitablement tant les relations humaines ne sont pas fondées sur une agapé naturelle. Un triangle formé d’une victime ; d’un  bourreau et d’un sauveur. Si on entre dans ce triangle par facilité on passe d’un rôle négatif à un autre sans fin et sans satisfaction. Ce qui compte pour avoir un rapport à l’autre sain c’est de choisir de sortir de ce triangle.

Dans cette fosse, il y a trois types de personnages : Daniel, l’ange et le lion.

Daniel, la victime, l’ange le sauveur, le lion, le bourreau.

Le christianisme, et plus particulièrement le protestantisme, nous offre une voie pour sortir de ce triangle de la fosse aux lions, il nous offre un double refus et un choix.

Le refus d’être une victime en voulant être responsable

Le refus d’être un bourreau en refusant le péché qui est avant tout d’exercer sa volonté de puissance sur les autres à leur détriment

Le choix enfin de se tourner individuellement vers le Christ, de tourner son coeur en pratiquant l’agapé qui est une des formes d’amour qui consiste à se reconnaitre dans l’autre et lui accorder sa bienveillance.

Nous, protestants, nous sommes encore plus réceptifs à ce message. Daniel en priant fenêtre ouverte n’a pas voulu capituler et a choisi d’aller jusqu’au bout de l’épreuve subie.

Les protestants français n’ont-ils pas été des Daniel perpétuels jusqu’à une époque récente ? J’étais avec Philippe Pélè-Clamour il y a quelques jours à la Société d’Histoire du Protestantisme Français et je voyais les noms gravés de tous ceux qui sans relâche n’ont pas quitté la fosse aux lions comme Montgomery, assassin malgré lui du roi Henri II lors d’un tournoi, et converti au protestantisme. Il fut un rescapé in extremis de la Saint Barthelemy car, logeant sur la rive gauche pour le mariage d’Henri de Navarre, il a eu le temps de voir arriver ainsi Guise et ses hommes armés jusqu’aux dents traversant la Seine. N’était il pas à ce moment là Daniel face à ses lions ?

Oui, Daniel est sorti vivant de la fosse aux lions. A nous maintenant d’être avec confiance Daniel dans les fosses aux lions à venir !

Amen !