La tentation du bien est-elle plus dangereuse que la tentation du mal ? par Bruno Gaudelet

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Exemple

La tentation du bien est-elle plus dangereuse que la tentation du mal ? par Bruno Gaudelet

           

Les différentes traditions chrétiennes ignorent le vocabulaire : « tentation du bien ». Le mot « tentation » est traditionnellement lié au péché ou au mal. Les quelques auteurs bibliques qui l’emploient l’utilisent d’ailleurs en regard du mal auquel il faut résister. Le dictionnaire Larousse s’en fait lui-même le reflet en indiquant que la tentation est : « ce qui porte à enfreindre une loi religieuse ou morale. Elle est une impulsion qui pousse au péché, au mal, en éveillant le désir. » Mais qui a dit, cependant, au Larousse que le désir était systématiquement enclin au mal ? L’humain est certes un être de désirs, mais pourquoi considérer le désir de façon péjorative ? On voit bien ici que le dictionnaire est influencé par la vision négative du corps et de la chair du catholicisme classique.

La Réforme puis la modernité se sont opposées de plein fouet à cette vision négative du corps et de la chair. L’une et l’autre ont fait valoir une conception du corps et de la chair – et donc de la sexualité – positive. Et s’il n’est pas question de nier la puissance d’attraction et de fascination du mal, on reconnaitra aussi que le bien possède également une force d’attraction et de fascination. La confession de Paul en Romains 7 – où l’apôtre se montre tiraillé entre le bien et le mal – montre l’heureuse attraction que le bien exerce aussi sur nous. Le bien, la vertu, la droiture, la justice, la vérité, attirent et tentent aussi nos cœurs et nos esprits. Nous ne sommes pas uniquement tentés par le mal, nous le sommes aussi par le bien. Ce constat soulève toutefois un questionnement philosophique et théologique : Faut-il succomber au désir du bien, à la tentation du bien, en nous disant : « puisque c’est le bien qui nous tente, allons-y gaiment » ou devons-nous y réfléchir à deux fois ? Voir même « résister » parfois à la tentation du bien ?

  1. Qu’est-ce que le bien et le mal ?

Le problème n’est pas le désir, mais la puissance d’aveuglement qu’il peut engendrer. Le désir n’est en soi ni bien, ni mal, il relève des appétits de la nature humaine. Le bien et le mal appartiennent à la sphère de la morale dont l’échelle des valeurs est toujours une création culturelle incluant des développements philosophiques et religieux. Le désir, lui, relève de la nature. La morale vise – comme toute culture – à éduquer la nature. Certains sont convaincus de trouver dans la Bible une « morale révélée » qu’on pourrait appliquer directement au quotidien. C’est là une erreur de perspective qui peut ruiner la morale elle-même. La morale du Premier Testament est celle des hébreux de l’Antiquité. Et celle que nous trouvons dans le Nouveau Testament vient des hébreux et des grecs du premier siècle. Voilà pourquoi l’esclavage y est naturel de même que la soumission de la femme à son mari, la peine de mort ou le châtiment éternel qui en reprend la logique dans le Second Testament. Où donc trouvera-t-on une « morale révélée » prête à l’emploi dans la Bible ? Certains, bien conscients de la difficulté, espèrent s’en sortir en se rabattant sur la « Loi morale » dont le Décalogue et le Sermon sur la montagne seraient la quintessence. Outre qu’on ne voit pas par quelle méthode on pourrait dégager cette Loi morale des textes, réduire le Décalogue et le Sermon sur la montagne à une « Loi » même morale relève du légalisme des pharisiens et passe surtout à côté du changement d’esprit que l’Evangile réclame, précisément, à l’égard de la Loi. L’analyse critique et historique révèle que les peuples construisent leur morale à partir de leurs héritages culturels, religieux et philosophiques, selon leur niveau de vie et moyens de production, et en fonction de leur détermination à construire une société solidaire.

  1. Le problème n’est pas le désir, mais la puissance d’aveuglement qu’il peut engendrer

Si c’est à la seule morale que nous confions le rôle de juge de paix pour céder ou non à la tentation du bien, nous risquons de justifier et de légitimer les conséquences fâcheuses qui pourraient en résulter. « Puisque j’ai voulu le bien, dira-t-on, puisque j’ai agi avec de bonnes intentions, il n’y rien à me reprocher ». C’est ainsi que nous moralisons les conséquences de nos choix et que la morale devient une caution, voire une excuse, pour légitimer les conséquences de nos choix. Mais pire peut-être encore, la certitude d’être dans le vrai, dans le juste et dans le meilleur choix, comporte un risque d’aveuglement insidieux pour tout humain normalement constitué. De fait : plus la certitude d’être dans le vrai est intense, plus la tentation du bien rend aveugle. Et plus cette certitude est légitimée, moins nous sommes capables de questionner notre désir de succomber à nos tentations. Que le désir soit bon ne change pas le problème que pose la tentation. La tentation du bien peut se révéler aussi néfaste pour l’individu et la société que la tentation du mal, tout simplement parce que la tentation du bien peut nous rendre autant fanatiques que la tentation du mal. La certitude d’être dans le droit et la vérité a fait assurément la preuve dans l’Histoire qu’elle est aussi dangereuse que les pires égoïsmes et la volonté de pouvoir. Elle est, de fait, à la base de beaucoup de totalitarismes, de conflits de toute espèce, de massacres sanglants et de génocides innommables.

Prenons l’exemple du prophète Elie dans la Bible. Il s’agit bien sûr d’un roman, mais d’un roman qui légitime le massacre des prophètes des religions concurrentes. Dans le récit, Elie est si certain d’être dans le vrai, tellement sûr que Dieu déteste l’idolâtrie et si persuadé qu’il faut extirper les faux dieux de son peuple, qu’il se transforme après le match du mont Carmel en bourreau criminel des prophètes du dieu Baal. Sa quête du bien, sa tentation du bien, l’a transformé en fou fanatique, mais le narrateur ne dit rien contre cela. C’est là où nous voyons que pour les auteurs du récit, on peut légitimement massacrer les opposants à Dieu au nom de ce que l’on croit être le bien et la fidélité.

Le cas de Paul est aussi patent et même d’autant plus qu’il évoque un fait historique. Paul reconnait en effet dans ses épîtres qu’il était véritablement fanatisé par sa doctrine pharisienne. « Je ne mérite pas d’être appelé apôtre », écrit-il en 1 Corinthiens 15, « car j’ai persécuté l’Eglise de Dieu ». Pourquoi Paul a-t-il persécuté l’Eglise de Dieu et du Christ ? Parce qu’il était sûr et certain que c’était la volonté bonne et juste de Dieu lui-même. Il était tellement aveuglé par son désir de faire le bien et d’être fidèle à Dieu qu’il se croyait « irréprochable vis-à-vis de la Loi de Moïse », alors même qu’il persécutait des gens en raison de leur divergence de croyance avec lui (Philippiens 4.).

  1. Comment faire échec à la puissance d’aveuglement que la tentation du bien peut engendrer ?

Comment faire échec à la puissance d’aveuglement que la tentation du bien peut engendrer ? Voilà une bonne question ! La règle d’or, qui découle directement de l’Evangile, c’est ne jamais croire, précisément, que nous possédons une « morale révélée » ou une « Révélation » comprises au sens d’un catalogue de lois et de règles absolues et intangibles. La parole de Jésus en Marc 4.24 nous invite à la prudence et à l’auto-introspection d’une saine herméneutique. « Prenez garde, dit Jésus, à ce que vous entendez. » Pour une fois les traducteurs de la Bible ont été bien inspirés de traduire le verbe grec « akouo » par « entendre » plutôt que par « écouter ». Le contexte du chapitre montre assurément que c’est au sens du mot « entendement » ou « compréhension » que Jésus emploie le mot « akouo ». « Prenez garde à ce que vous entendez » signifie « prenez garde à la façon dont vous interprétez et comprenez les choses ». L’herméneutique philosophique enseigne que tout interprète doit apprendre deux choses : Premièrement qu’il revient à chacun de mettre en lumière ses présupposés et ses préjugés propres, car tout interprète est orienté et conditionné par ses présuppositions d’ordre scientifique, psychologique, social, familial, religieux, culturel,… qui déterminent son interprétation et sa compréhension des choses. Deuxièmement, une fois devenus conscients de nos déterminations, nous comprenons immédiatement que notre interprétation des choses est toujours relative à notre situation, à notre savoir et à nos croyances. L’herméneutique n’empêche nullement d’avoir des convictions, bien au contraire, mais elle nous convainc de désabsolutiser nos points de vue et nos croyances.

CONCLUSION

Le meilleur rempart contre le fanatisme qui guette la tentation ou la quête du bien, c’est de prendre garde à notre entendement. Toute tentation comporte un risque, la tentation du bien n’y échappe pas. C’est sans doute la raison pour laquelle le mot « tentation » est lié au risque de succomber au mal dans la Bible ; non que toute tentation soit toujours mauvaise en soi, mais parce que même la « tentation du bien » peut engendrer – par absolutisme ou fanatisme –  un mal équivalent ou pire que le mal de la « tentation du mal ».

Pasteur Bruno Gaudelet