Eloge de la fidélité, Bruno Gaudelet

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Exemple

Eloge de la fidélité, Bruno Gaudelet

Introduction

Dans ces cultes-concerts du nouvel an que nous consacrons à un compositeur éminent, la prédication ambitionne de méditer un aspect spécifique en lien avec l’œuvre du maestro. Bach, chantre officiel de l’Eglise luthérienne, nous a fait réfléchir à la place de la musique durant le culte. Mozart, auteur de la messe du Requiem, nous a conduits à une réflexion sur « l’avoir à mourir ». En songeant à Mendelssohn, c’est tout naturellement sa marche nuptiale, universellement connue, même par ceux qui ne connaissent pas Mendelssohn, qui s’est imposée à mon esprit.

La marche nuptiale de Mendelssohn nous parle évidemment du mariage, mais en tant que mini-société humaine, en tant que team de base, le mariage laisse apercevoir ce qui est requis, indispensable, pour qu’une relation humaine devienne une relation de confiance et de qualité. Autrement dit, le mariage est paradigmatique de toute alliance qui rassemble des partenaires qui décident d’unir leurs forces, leur moyens, leurs intelligences pour un projet, une cause, une vie, une entreprise commune.

Qu’est-ce, donc, qui fait la qualité d’une relation de confiance, qu’elle soit conjugale, amicale, sociale, ou ecclésiale ? Indubitablement, nous le savons tous, c’est le respect, l’écoute, la bienveillance, la recherche de l’entente commune, la confiance et bien évidemment la fidélité qui est la prémisse des vertus et des valeurs qui viennent d’être nommées. Impossible, en effet, de faire confiance à quelqu’un qui n’est pas fidèle à sa parole ou à ses engagements. De même l’écoute, la recherche de l’entente commune et le respect, seront, malgré tous les efforts de bienveillance, compromis par l’infidélité. La fidélité est une prémisse, une condition, pour que la confiance s’établisse et que l’ensemble des vertus et des valeurs qui font la qualité d’une relation puissent devenir effectives. En renvoyant au mariage, la marche nuptiale de Mendelssohn nous renvoie à la fidélité prémisse indispensable de toute relation humaine de qualité. Essayons donc de voir, les possibilités et les difficultés de la fidélité, mais aussi de considérer ce qu’elle nous dit elle-même à son sujet et à notre sujet.

I. Etymologie et Antiquité

Les mots « fidélité » et « fidèle » viennent du latin « fidelitas » et « fidelis » qui signifient « loyal », « solide », puis « digne de foi ». Le mot latin « fides » se traduit d’ailleurs, tout comme le mot grec « pistis », aussi bien par le mot « foi » que par le mot « fidélité ». Ce n’est pas pour rien qu’on dit des gens de foi qu’ils sont des « fidèles ». En français l’adjectif « fidèle » qualifie celui ou celle qui est loyal, sincère, qui tient sa parole et ses engagements, qui fait ce qu’il dit. Avec le temps, il a aussi pris le sens « d’exactitude » et « d’authenticité » ou de « conformité » aux choses. Les romains ont personnalisé la « fidélité » comme une déesse alliée de Jupiter le dieu des serments. S’engager par Jupiter ou par Fides, la déesse de la bonne foi et de l’honneur, revenait à sceller sa promesse devant les dieux, de sorte qu’ils punissent celui ou celle qui contreviendrait au serment.  Pourquoi cette nécessité de prendre les dieux à témoin ? Pourquoi assortir les accords et serments entre humains par la menace des divinités ? Parce que les humains savent depuis la nuit des temps qu’ils ne sont précisément pas fiables et que la fidélité n’est pour personne un acquis indéfectible.

II. Peccabilité et fluctuation humaine

Oh ce n’est pas que l’humain soit absolument mauvais et immanquablement pervers. Il est certes un pécheur, et en tant que tel, il peut assez souvent manquer à sa parole, tromper, mentir, falsifier intentionnellement les choses, les détourner, les arranger à son avantage. Mais même la plus honnête des personnes, peut, sans aucune fourberie ou mauvaise intention, manquer à sa parole, à ses promesses ou à ses engagements. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas des êtres immuables, mais tout au contraire des êtres fluctuants et évolutifs. Tout dans notre être, physique, biologique, psychologique, spirituel, ou social, est en perpétuel process et mouvement. A part notre code génétique (et encore : les généticiens notent des apports « épigénétiques » qui modifient nos caractères et se transmettent aux descendants), tout en nous est mouvement, mutabilité et évolution. Nous vieillissons et nos idées évoluent sans même que nous nous en rendions compte, et même parfois à notre corps défendant. En y réfléchissant avec honnêteté et avec un peu de mémoire de ce que nous étions il y a 10 ou 15 ans, nous voyons bien que nous ne sommes plus tout à fait les mêmes. Nous avons évolué. Certes, il y a bien des continuités, parfois tellement présentes à notre esprit qu’il peut nous sembler que nous n’avons pas bougé d’un cil. Nous avons une forme de fidélité à nous même qui garantit en quelque sorte la conscience de notre identité, mais cette conscience masque bien souvent les évolutions que nous avons intégrées sans même le noter. Nous sommes des êtres fluctuants, évolutifs, surtout dans nos sentiments, nos idées, nos croyances, notre vision du monde et même dans notre imaginaire. Il n’est pas évident, du coup, qu’une relation, (qu’elle soit conjugale, amicale, fraternelle, professionnelle ou sociale), perdure de façon stable, en dépit des fluctuations. Les faits montrent en tout cas que la fluctuation et l’évolution de tout un chacun, transforment assez souvent les êtres et les relations de tous types qui se nouent à un moment donné et rendent difficile la fidélité aux promesses, aux paroles et aux engagements. En y regardant bien, on peut dire que, lorsque nous sommes en présence d’une fidélité qui se pérennise, nous sommes en présence d’un miracle authentique.

III. Indispensable miracle

C’est en effet un vrai miracle, dans la fluctuation et l’évolution permanente qui sont les nôtres, de rester « fidèle » à ses paroles, à ses engagements, à ses promesses, à son conjoint, à ses amis, à soi-même. Un vrai miracle, car la fidélité ne nous est pas naturelle ! Ce qui nous est naturel, c’est la fluctuation, la variation et le changement. Les paroles en l’air, les promesses non-honorées, les engagements non-tenus, les RDV manqués, les demandes classées sans suite, les trahisons, … sont là pour montrer, s’il en était besoin, que la constance et la fidélité ne nous sont pas naturelles. On nous fait faux bond et nous faisons faux bond aux autres dans à peu près tous les domaines. La confiance y perd beaucoup assurément et se fait parfois rare. D’autant plus qu’elle est longue à gagner et si facile à perdre.

Et pourtant, pourtant,… Peut-on vivre dans la suspicion permanente ? Peut-on vivre sans donner sa confiance à ses partenaires et sans espérer dans la fidélité des autres, des proches, à leurs paroles et promesses ? Il n’y a pas d’alliance qui tienne sans fidélité. Et il n’y a pas de vie épanouie sans que nous nous efforcions d’être fidèles à Dieu, à l’Evangile, à l’agapè qu’il nous enseigne, à notre conjoint, à nos engagements, à nos amis. Dieu est fidèle dit l’apôtre Paul, car lui il ne fluctue pas (1 Thes 5.24). Il reste le même hier, aujourd’hui éternellement (du moins perçu à notre échelle de temporalité). Pour nous c’est plus compliqué car nous ne sommes pas immuables. La fidélité nous demande un effort. Un effort sur notre vieille nature pécheresse qui a si facilement tendance à envoyer les autres dans le décor. Un effort sur notre fluctuation permanente qui est tellement tournée sur nous-même.

Conclusion

Oui, c’est la fidélité qui fait la qualité d’une relation, quelle qu’elle soit. Sans fidélité point de confiance et sans confiance point de relation de qualité. L’infidélité provoque notre déception et la perte de la confiance. Les infidélités dont nous pouvons souffrir ne doivent cependant, ni nous endurcir, ni nous rendre misanthropes, elles doivent nous inciter tout au contraire à mettre en pratique nous-même la règle d’or que Jésus énonce dans l’Evangile en ces termes : à savoir : Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes (Mt 7.12-14).Une règle d’or qui implique selon Bossuet de ne pas faire aux autres ce que nous n’aimerions pas qu’ils nous fassent. C’est la loi et les prophètes, dit Jésus. Elle est comparable sur le plan allégorique à la porte étroite, opposée au large chemin de l’égocentrisme et de l’égoïsme qui ne tiennent pas compte des autres, ou seulement pour les avantages qu’ils peuvent apporter.  Puissions-nous nous souvenir souvent, et non uniquement lorsque nous entendons la marche nuptiale de Mendelssohn, que nul ne vit des relations humaines profondes et durables sans fidélité.

Pasteur Bruno Gaudelet