Culpabilité et pardon, par Jean-Gabriel Bliek

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Culpabilité et pardon, par Jean-Gabriel Bliek

Publication mise en avant

Lectures : Actes 9 v 1-8, 1 Corinthiens v 8-1, 2 Corinthiens v17-21

Chers amis,

Les textes qui nous ont été lus nous donnent le moment crucial de l’histoire bien connue de Paul, le moment de son retournement comme on dit dans les services secrets d’un agent ennemi qui passe dans l’autre camp. Ils nous plantent le décor avec le cas de Saul de Tarse devenu

l’apôtre Paul de ces thèmes difficiles que sont la culpabilité et le pardon. Le pardon n’est pas forcément un mot chrétien puisqu’il existait dans l’ancien testament et même chez les tragiques grecs, la notion existait en dehors de l’expiation ou de ce qui était dû, il existait dans une sphère extra-juridique en quelque sorte. Le pardon apparaît comme l’amorce d’une réparation. Mais comment faire ?

Reprenons cette histoire si paradoxale et si extraordinaire de Paul.

Chez Paul, tout est éclatant. Sa culpabilité est indéniable ; son énergie à poursuivre les disciples du Christ est inébranlable. Il n’en souffre en aucune mesure puisqu’il met dans sa tâche de persécution aucun scrupule ni réticence. C’est un cas parfait de bourreau serein.

Tout semble clair pour lui jusqu’à ce que sa vue se brouille sur le chemin de Damas. Et là, dans une sorte d’apparition, c’est le choc au point qu’il en perd temporairement la vue et ne peut plus se diriger. Il reconnaît lui-même sa faute par la rencontre avec le Christ. En termes modernes, on dirait que c’est une prise de conscience brutale de la nature de ses actes. Il s’ensuit dans la foulée chez lui un retournement complet, une metanoia, un changement de comportement qui lui fait dire ensuite que Jesus est bien le messie c’est-à-dire le Christ, traduction grecque de Messiah. De persécuteur il devient propagandiste. Il n’y pas plus convaincu des méfaits du tabac et de meilleur propagandiste de la santé que les anciens fumeurs !

A l’appui de ses déclarations de foi, Paul proclame ainsi que la grâce de Dieu lui a été accordé pour ses péchés, autrement dit le pardon de Dieu lui a été accordé pour toutes ses fautes car dans le mouvement de son cœur il s’est révélé transformé. Et il va proclamant que le Christ montre la voie de la réconciliation.

Voilà bien un cas exemplaire de transformation, un cas de coupable-pardonné frappant l’imagination par le fort contraste entre ce qu’il était et ce qu’il devient et par la rapidité de sa conversion !

L’histoire de Paul est bien connue mais mesure-t-on la difficulté de ce chemin de Damas pour chacun d’entre nous ?

Vladimir Jankelevitch français juif né à Bourges, résistant et philosophe célébre, a beaucoup écrit sur le pardon. Jankelevitch distingue le vrai pardon de ses succédannés , ces faux pardons qui ont l’allure du pardon mais pas la nature, ces accommodements faciles que l’on s’accorde sans peine.

Il en va ainsi de l’usure du temps qui rendrait caducs les offenses, les péchés ou les crimes en limant leurs aspérités blessantes comme ces galets polis par la mer et le temps L’analogie avec le droit s’impose à l’esprit : au bout de 25 ans le temps est souvent venu de passer à autre chose. Que le temps agisse est bien évident mais en quoi agit il sur le juste et l’injuste, ou sur le bien ou le mal ? Pour qu’il y ait pardon, il faut qu’il y ait un rapport entre l’offensé et l’offenseur qui là n’existe pas puisque c’est le temps qui fait son œuvre. Se satisfaire de ce succédanné c’est un acte de superficialité qui n’engage en rien l’offenseur dans son intégralité.

Pardonner ce n’est pas non plus excuser, considérer que la faute n’existe pas et que c’est à mettre sur le compte de l’ambiguité humaine où les bonnes intentions sont pavées de mauvaises. Non, « le pardon seul peut ce que l’excuse ne peut pas ». Une sorte d’acte gratuit que rien ne justifie : je pardonne parce que je pardonne.

Face aux camps de la mort et à la question du pardon, Vladimir Jankelevitch fait remarquer ne pas avoir entendu de demande de pardon de la part des bourreaux ou des allemands en général et en particulier de ces professeurs de philosophie si prompt à donner des leçons. Quand bien même en aurait il eu qui était il lui pour pardonner au nom des morts lui qui n’était pas aller dans les camps ?

On voit bien la difficulté du pardon. Il faut bien qu’il y ait une demande de pardon ce qui suppose à la fois une prise de conscience du mal commis et peut-être un changement de comportement. Et en même temps, le pardon accordé ne vient pas de raisons, de justifications : il n’y a pas de parce que ni de bien que dans le pardon, c’est un acte limite. Ce qui le rend proche de la grâce. Quelque chose à la fois de sublime et d’héroïque pour un être humain.

Pour nous, qui n’avons pas eu la confrontation directe de Paul ni commis l’atrocité du mal mais qui sommes dans cette zone grise des intentions et des actions, entre le pur et l’impur, qu’en est-il?

Pour nous qui ne croyons pas au péché originel mais à la responsabilité, nous ne pouvons pas accepter une quelconque forme de théologie sacrificielle, c’est-à-dire le fait d’obtenir le pardon en fonction de transaction rituelle ou de compensation. Si on a du mal à connaître le Jésus historique à travers les évangiles, il y a un passage pourtant si fort qu’on a quelque difficulté à ne pas le considerer comme véridique. Quand Jesus chasse les marchands du Temple, il proclame que ce qui est important ce n’est pas de se racheter à bon compte, de compenser une mauvaise action par une bonne, mais avant tout de changer son cœur.

Pour Luther, Dieu serait inique s’il acceptait que nous compensions nos mauvaises actions par des bonnes, cela ne serait pas juste pour les victimes.

Si nous pouvons considérer que le pardon de Dieu nous ait acquis, cela ne nous dispense en rien du pardon de ceux que nous avons pu offenser.

Nous n’avons en face de notre culpabilité envers ceux que nous avons offensés que la possibilité étroite d’abord de connaître un petit chemin de Damas qui est une prise de conscience de ce que nous avons fait. La réside la première difficulté qui consiste à pouvoir voir la réalité avec les yeux des autres, faute d’être aveuglé comme Paul.

Mais une fois franchi ce passage, reste encore l’essentiel qui est d’aller vers celui que l’on a offensé et demander son pardon.

C’est là que réside la difficulté du pardon, de cet acte limite qui nous fait ressentir nos propres limites.

Dans la banalité de la vie qui est notre toile de fond, on doit voir le pardon comme une expérience de vie quotidienne. Mais du même coup, on doit voir aussi que le pardon, c’est le sublime quotidien. On voit facilement la difficulté, on mesure moins bien la délivrance qu’elle pourrait aussi nous accorder de sortir du cercle sans fin des ressentiments.

Le pardon, c’est l’acte libérateur, mais c’est aussi en quelque sorte une autre terre promise vers la quelle nous cessons de marcher. Amen !