Amour et Vérité se rencontrent Justice et Paix s’embrassent, Gilles Castelnau

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Exemple

Amour et Vérité se rencontrent Justice et Paix s’embrassent, Gilles Castelnau

Amour et Vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent

Ces mots ont en hébreu un sens très précis et un peu différent de celui que nous leur attribuons en français.

Lecture du texte

Psaume 85

Tu as montré ton amour pour ton pays, Eternel !
tu as fait revenir les captifs de Jacob ; tu as enlevé la faute de ton peuple, tu as couvert tout son péché.
Tu as mis fin à ton emportement, tu es revenu de ton ardente colère.
Fais-nous revenir, Dieu notre sauveur ! renonce à ton indignation envers nous.
Seras-tu toujours irrité contre nous, prolongeant ta colère d’âge en âge ?
N’est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre et qui seras la joie de ton peuple ?
Montre-nous ta fidélité, Eternel, et donne-nous ton salut.

Ecoute ce que dit Dieu, l’Eternel ; il dit : « Paix », pour son peuple et pour ses fidèles, mais qu’ils ne reviennent pas à leur folie !
Son salut est tout proche de ceux qui le craignent, et la gloire va demeurer dans notre pays.
Amour et Vérité se rencontrent, 
Justice et Paix s’embrassent 
La fidélité germe de la terre et la Justice se penche du ciel.
L’Eternel lui-même donne le bonheur, et notre terre donne sa récolte.
La Justice marche devant lui, et ses pas tracent le chemin.

L’amour (hêsêd). Quand nous disons aujourd’hui ce mot d’amour, nous dégageons une impression de chaleur, d’émotion, de bonheur personnel, d’accomplissement. Ici l’amour est associé à la justice alors que pour nous, au contraire, quand on aime, on pardonne, on ne juge pas, on ne condamne pas comme le fait la justice.

Justice (tsêdêk). Dans la Bible la justice ne juge pas et ne condamne pas ; bien au contraire, elle rétablit dans ses droits la veuve, l’orphelin et l’immigré qui en ont été « injustement » spoliés par les « injustes ».

Le Psaume 72 qui est la liturgie de couronnements des rois d’Israël demande à Dieu pour le roi le don de la justice :

O Dieu, donne tes jugements au roi, et ta justice à ce fils de roi !
Il jugera ton peuple avec justice, et les malheureux avec équité.
Il fera droit aux malheureux du peuple,
Il sauvera les enfants du pauvre, et il écrasera l’oppresseur…
Il délivrera le pauvre qui crie, et le malheureux qui n’a point d’aide.
Il aura pitié du misérable et de l’indigent, et il sauvera la vie des pauvres ;
Il les affranchira de l’oppression et de la violence, et leur sang aura du prix à ses yeux…
La paix sera grande

Il ne s’agit pas que le roi fasse régner un équilibre que nous qualifierions de « juste » entre les délits et leur répression pris en charge par la police et les tribunaux mais qu’il intervienne avec compassion, pour restaurer comme les chevaliers d’antan le droit spolié du malheureux et du pauvre sans aide qui crient lorsque l’oppresseur et le violent font couler leur sang.

Cette notion de « justice » se trouve en de nombreux endroits de l’Ancien Testament. Par exemple Ezéchiel 18.5

L’homme qui est juste, qui pratique la droiture et la justice, 6
qui ne mange pas sur les montagnes et ne lève pas les yeux vers les idoles de la maison d’Israël,
qui ne déshonore pas la femme de son prochain et ne s’approche pas d’une femme pendant son impureté,
qui n’opprime personne, qui rend au débiteur son gage, qui ne commet point de rapines,
qui donne son pain à celui qui a faim et couvre d’un vêtement celui qui est nu,
qui ne prête pas à intérêt et ne tire point d’usure,
qui détourne sa main de l’iniquité et juge selon la vérité entre un homme et un autre.

Mêlé à l’interdiction de l’idolâtrie, du sang (les règles de la femme), la notion de justice est centrée sur le respect de l’intégrité du prochain : donne du pain à celui qui a faim, ne prête pas à intérêt et ne tire point d’usure…

Vérité (êmêt, amen) : Ce mot que l’on dit à la fin de nos prières désigne une réalité solide, ferme, certaine, incontournable. Il n’y aura personne pour les troubler : on est dans une situation d’êmet, d’amen. C’est aussi la paix, le chalôm.

La Paix (chalôm) n’est pas comme en français la fin de la guerre. C’est la tranquillité calme, certaine et ferme que l’on vit « sous sa vigne et sous son figuier », sans qu’aucun oppresseur, aucun spoliateur ne vienne troubler cette situation de justice : monde de l’amour, monde de Dieu.

L’amour (hêsêd). La conception de l’amour, dans l’Ancien Testament est donc corrélée à la justice, la fidélité. « Aimer son prochain comme soi-même » n’est pas éprouver une chaleur sympathique pour quelqu’un d’antipathique. Il ne s’agit pas de s’ouvrir à une attitude émotionnelle qui est, d’ailleurs sans aucun intérêt pour la personne en question, qu’elle laisse évidemment tout à fait indifférente. C’est avoir à son égard, comme envers soi-même, une attitude de Justice, c’est-à-dire agir de sorte qu’il ait, comme soi-même et comme tout le monde, ce dont on a besoin pour vivre et s’épanouir en paix. Que chacun puisse vivre en paix, comme le dit l’Ancien Testament à plusieurs reprises, « sous sa vigne et sous son figuier ».

Michée 4.3

De leurs glaives ils forgeront des socs de charrue, Eet de leurs lances des serpes.
Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre.
Ils habiteront chacun sous sa vigne et sous son figuier, et il n’y aura personne pour les troubler.

Amour et Vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent

On dit que Dieu est amour car Dieu est le Dieu de la vie des hommes (et pas seulement des hommes, mais aussi des animaux, des plantes, de la nature, de la vie du monde : vie de la vigne et du figuier, vie qui n’est troublée par aucune injustice, vie d’amour. C’est « L’insensé qui dit en son cœur : il n’y a pas de Dieu » (Psaume 53) Cela ne signifie pas qu’il serait insensé d’être athée ou agnostique. Mais nier Dieu, nier l’universalité de la vie, admettre l’injustice, l’oppression, le mépris de l’autre est insensé. Le monde vit la grande loi de la vie.

L’Exil à Babylone

Et justement l’auteur du Psaume 85 est de ceux qui pensent que transgresser la grande loi de la vie humaine ne peut conduire qu’à la destruction et à la mort.

C’est l’idée du livre du Deutéronome qui explique l’Alliance de Dieu avec les hommes. Dieu promeut la vie, il donne la terre, il chasse les ennemis – il fait pousser la vigne et le figuier – et les hommes respectent cette ambiance. Ils « aiment Dieu » c’est-à-dire qu’ils entrent de tout cœur dans l’alliance d’amour où

Amour et vérité se rencontrent
Justice et paix s’embrassent

Le peuple vient d’être vaincu par le féroce Nabuchodonosor et déporté à Babylone. Mais on comprend que cette période va se terminer. Elle n’était qu’une punition envoyée par un Dieu fou de colère :

Psaume 85
Tu as montré ton amour pour ton pays, Eternel !
tu as fait revenir les captifs de Jacob ; tu as enlevé la faute de ton peuple, tu as couvert tout son péché.
Tu as mis fin à ton emportement, tu es revenu de ton ardente colère.
Fais-nous revenir, Dieu notre sauveur ! renonce à ton indignation envers nous.
Seras-tu toujours irrité contre nous, prolongeant ta colère d’âge en âge ?
N’est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre et qui seras la joie de ton peuple ?
Montre-nous ta fidélité, Eternel, et donne-nous ton salut.

Désormais le peuple a compris : il va revenir dans l’Alliance sainte. Il a compris qu’on ne peut pas subsister si l’oppression, l’injustice, le manque d’amour entravent la paix et… c’est la déportation qui représente, tout à fait justement, la conséquence évidente du mal, du péché du peuple.

On revient au monde heureux qui est celui du Dieu de vie, du Dieu d’amour. Amour et vérité se rencontrent Justice et Paix s’embrassent

Avertissement. Évidemment ce psaume est un avertissement. On l’a conservé, on l’a recopié, on l’a transmis jusque dans les périodes où, sans doute, l’injustice, l’oppression, le mépris, le manque d’amour rendaient l’êmêt, l’amen, la stabilité politique douteuse : la paix s’évanouissait, l’amour était publié et la paix sociale manquait.

Job. Ecclésiaste. On n’est pas obligé de croire qu’une telle attitude incontestablement fautive et condamnable entraîne forcément et à tous les coups la destruction du peuple et la déportation dans un pays étranger !

– L’auteur du livre de Job met en jeu le long dialogue de Job avec ses 4 visiteurs deutéronomistes. Job avait tout perdu : ses fils et ses filles étaient morts, ses troupeaux dispersés et sa santé même gravement atteinte : Ses visiteurs, en bons lecteurs du Deutéronome et fidèles de la théologie de l’Alliance s’efforçaient de le persuader qu’il était victime d’une punition pour avoir transgressé la loi divine. Il s’obstinait à refuser cette idée. Il n’était pas particulièrement pécheur et ses malheurs étaient immérités. A la fin du livre, c’est à Job que Dieu donne raison.

– L’Ecclésiaste aussi récuse cette logique trop simple de la punition qui suit la faute :

Eccl 9.22
Tout arrive également à tous ; même sort pour le juste et pour le méchant,
pour celui qui est bon et pur et pour celui qui est impur,
pour celui qui offre des sacrifices et pour celui qui n’en offre pas ;
il en est du bon comme du pécheur, de celui qui jure comme de celui qui craint de jurer.

Il n’en demeure pas moins que l’auteur du Psaume 85 nous incite vertement à rester fidèles à l’Alliance d’amour, loin de toute injustice.

Vous me direz que cette paix, cette stabilité (êmêt), cette justice, cet amour finalement, ne sont pas sans violence. La liturgie de couronnement du Ps 72 le dit bien :

Il fera droit aux malheureux du peuple, Il sauvera les enfants du pauvre, Et
il écrasera l’oppresseur…

La vraie justice est coercitive pour rétablir le droit. Pour maintenir la justice, la stabilité, le chalôm, l’amour, il ne faut pas laisser l’oppresseur tout gâcher. Il ne faut pas laisser les violents menacer les gens au coin de la rue, les violeurs, les cambrioleurs, les trafiquants de drogue pourrissent la vie du monde de Dieu.

Les agences de notation qui élèvent le pourcentage des intérêts, le boursicottage déstabilisant les entreprises aussi. L’écart de revenus insensé entre riches et pauvres pire qu’au 19e siècle n’est pas la justice, la paix, la stabilité et l’amour.

La justice coercitive ne doit d’ailleurs pas non plus se transformer en oppression des coupables. Les coupables ne doivent pas gâcher la vie de leurs prochains mais ils ont le droit de vivre eux aussi. La justice n’est pas une vengeance mais rétablissement du droit. La justice coercitive est tragique. Il ne faut pas s’en réjouir. Certes la condamnation du coupable (voleur, mari violent, meurtrier des deux femmes gendarmes, violeur) est satisfaisant pour les victimes car elle est reconnaissance du mal qui leur a été fait. Mais il faut de la pudeur, de la retenue dans la manifestation de la satisfaction : car toute condamnation est tragique. Une prison insalubre n’est pas une vraie justice. Si la « justice » déshumanise elle est sans amour et les aumôniers ont raison de visiter les détenus et de leur témoigner respect et amour. Un pays où la justice ne règne pas, dit le Psaume 85 ne mérite que d’être déporté à Babylone.

La Paix soit avec vous, disait Jésus le soir de Pâques.

Jean 14
Je vous laisse la paix, je vous donne la paix.
Je ne vous la donne pas comme le monde la donne.
Ne soyez pas inquiets et n’ayez pas peur.

Gilles Castelnau