Retrouver le sens du récit de l’Annonciation de Luc 1

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Exemple

Retrouver le sens du récit de l’Annonciation de Luc 1

Publication mise en avant

Introduction

Des anciennes icones chrétiennes aux peintres de la Renaissance, les grands maîtres ont marqué à tout jamais nos esprits par leurs représentations stylisées de l’annonciation. L’apparition de l’Ange à Marie intervient le plus souvent dans les tons chamarrés. Marie y est représentée généralement selon l’une des cinq phases appelées : 1) salutatio (la salutation), 2) conturbatio (la surprise, voire défiance de Marie), 3) annuntiatio (l’annonciation), 4) quomodo (le comment), 5) acceptatio (le consentement de Marie). Ces cinq phases correspondent bien au texte biblique, mais le message de Luc 1 se réduit-il à ces séquences ? 

Judéo et pagano chrétiens

La pensée magique et le goût pour le miraculeux ont conduit des générations de chrétiens à lire le récit de l’annonciation à la lettre et donc à passer à côté de sa visée réelle. Aujourd’hui que l’exégèse nous a appris à analyser les textes en profondeur, c’est non seulement le sens du texte qui réapparait, mais également les traces qu’y ont laissées leurs auteurs successifs. L’auteur du troisième évangile que nous appelons Luc est un gentil, un pagano-chrétien. Il écrit autour des années 80 ap J-C pour un milieu chrétien de culture grecque. Lorsqu’il s’apprête à rédiger son évangile il possède au moins trois types de sources : une copie de l’évangile de Marc rédigé vers 70 ap J-C, la tradition qu’il a en commun avec Matthieu (source Q) et des matériaux propres à son milieu qu’il adapte et remet en forme. Etant donné le contenu messianique du récit de l’annonciation de Luc, il est vraisemblable que le proto texte de l’annonciation qu’il possède vient du milieu judéo-chrétien.

Les judéo-chrétiens de la première heure reportaient, en effet, sur Jésus les attentes messianiques de leur peuple. Le messianisme ancien s’était forgé au fil des siècles en réponse à la domination des grands empires qui avaient conquis et dominé depuis le septième siècle av J-C le peuple d’Israël. Privés de leur royauté et traités en vassaux les hébreux soupiraient après ce fils de David qui se lèverait à la manière des héros bibliques afin de rassembler une armée, de chasser les romains et de rétablir la royauté et les frontières du temps de David. Le « Messie » attendu était pensé comme un chef politique et militaire. Le messianisme faisait alors son miel des textes du Premier Testament pouvant conforter cette espérance.

Les judéo-chrétiens étaient héritiers de cette attente, mais ils tenaient évidemment que le Messie était Jésus de Nazareth. Ils s’efforçaient donc de faire correspondre les textes présumés messianiques avec les dits et faits de Jésus. L’évangile selon Matthieu – rédigé aussi dans les années 80 ap J-C – donne un exemple de cette rhétorique lorsqu’il déclare « accomplie » telle ou telle « parole prophétique » des Ecritures. Le rejet ou l’indifférence des juifs constitua, certes, pour les judéo-chrétiens, un caillou de taille dans les rouages de leur système. Paul lui-même n’arrivait, ni à penser, ni à admettre, ce rejet. En Romains 11, il se voit contraint, soit de remettre en cause le messianisme originel, soit de supposer la conversion finale d’Israël. Or, c’est à cette solution qu’il se range.

Les pagano-chrétiens se situaient pour leur part sur un autre versant. La restauration de la royauté et du pays même d’Israël ne leur importait guère. L’Eglise rassemblait les fidèles de Dieu de toutes les nations et constituait maintenant le peuple de Dieu. La Nouvelle Alliance rendait désormais « Ancienne » l’Alliance Mosaïque. Jésus était « Christ », « oint de Dieu », non plus au sens de « roi d’Israël », mais au sens de Roi du ciel et de la terre.

Archéologie du texte de l’annonciation

Ce repositionnement théologique des pagano-chrétiens – qui commençaient à être nettement plus nombreux dans les églises que les judéo-chrétiens – éclaire particulièrement l’archéologie du texte de l’annonciation en Luc 1. En effet, ce récit conserve au moins trois traits caractéristiques du messianisme judéo-chrétien originel :

  1. Il est façonné sur la forme des récits d’annonciation du Premier Testament. Le récit de l’annonciation de la naissance de Sanson par un ange envoyé à sa mère semble d’ailleurs l’avoir particulièrement inspiré (Juges 13), mais on peut aussi le comparer à l’annonce des naissances d’Isaac, de Moïse, de Samuel et bien sûr de Jean-Baptiste. C’est à même ce genre littéraire que puise l’annonciation de l’ange à Joseph en Matthieu 1.

  2. Il fait correspondre Marie avec la mère de l’Emmanuel d’Esaïe 7.14 : « voici que la jeune fille est enceinte, elle enfantera un fils, et lui donnera le nom d’Emmanuel ». Notons ici que dans le texte hébreu originel d’Esaïe 7.14, la mère d’Emmanuel est désignée par le mot « almah » qui veut dire « jeune fille » et non par le mot hébreu « bethulah » qui veut dire « vierge ». Pourquoi Luc, mais également Matthieu, remplacent-il la « jeune fille » d’Esaïe 7.14 par le mot « vierge » ? Tout simplement parce qu’ils lisaient la version grecque de l’Ancien Testament, la Septante, qui traduit le mot « almah » par le mot « parthenos » qui signifie « vierge ». C’est là un important déplacement de sens, mais qui « tombe à pic », si l’on peut dire, pour conforter la divinisation de Jésus qui croissait de plus en plus dans les Eglises des années 80, en raison de la « gentilisation » du mouvement de Jésus.

  3. Les propos de Gabriel conservent aux versets 32-33 le catéchisme judéo-chrétien selon lequel le Messie est suscité pour s’assoir sur le trône de David et régner sur la maison de Jacob. Autrement dit pour relever la royauté et le pays d’Israël.

Luc a donc trouvé parmi ses sources un proto-texte judéo-chrétien à teneur messianique qu’il a jugé d’autant plus utile d’inclure dans son évangile que l’origine de Jésus était obscure, voir décriée par les opposants hostiles au mouvement chrétien (cf. Bruno Gaudelet, Le Credo revisité, Olivetan, 2015, p. 44-47). Evidemment, il n’était pas question de l’intégrer sans le retoucher, ni y intégrer ce que lui et son milieu grec croyaient concernant Jésus. Or, cet apport s’observe précisément dans le déplacement de sens que Luc 1 opère concernant le titre « Fils de Dieu ». En effet, alors que le titre « Fils de Dieu » constituait pour les juifs du Second Temple un titre royal – cf. le Psaume 2 – Luc lui donne tout à coup dans le récit de l’annonciation le sens tout à fait « païen » – au sens de la gentilité – « d’enfant divin ». L’ange déclare de fait à Marie que c’est « parce que » l’Esprit Saint va la couvrir de son ombre que le saint enfant sera appelé « Fils de Dieu ». Ainsi, ce n’est plus en raison de la fonction royale messianique que le titre « Fils de Dieu » est donné à l’enfant de Marie en Luc 1, mais en raison de la fécondation d’une jeune fille vierge par l’Esprit-Saint. La divinisation de Jésus – qui ne figurait pas dans le credo des judéo chrétiens – constitue la part que Luc apporte au récit d’annonciation reçu de ses devanciers judéo-chrétiens. Matthieu (le plus hébraïque des quatre évangiles) fera de même, ce qui montre que la divinisation de Jésus gagnait aussi certains milieux judéo-chrétiens des années 80 ; sans doute d’ailleurs en raison de l’influence de la littérature apocalyptique qui y était populaire.

Le sens du texte de l’annonciation

Remis dans son contexte le texte de l’annonciation apparait comme un récit de revendication et de vocation. De revendication, car il réclame pour Jésus le statut de « Messie », compris non plus seulement comme Roi d’Israël, mais comme Roi de l’Univers via la divinisation du titre « Fils de Dieu ». De vocation, car c’est bel et bien l’appel au service de Dieu qui est mis en scène dans le récit de l’annonciation. Marie s’inscrit, de facto, aux côtés des héros des deux Testaments qui face à l’appel de Dieu répondent : « me voici ! ». Abraham, Moïse, Sanson, Gédéon, Déborah, Samuel, Esaïe, Ezéchiel, Amos, Esther, Joseph, Pierre, Jean, Marie-Madeleine, Lévi, Paul, Apolos, … Tous répondent « Me voici Eternel ! Parle, ton serviteur ou ta servante écoute ! » Jonas lui-même a beau fuir sa vocation, il finit cependant par y répondre. Pourquoi ? Peut-être parce que l’humain se trouve lui-même lorsqu’il trouve Dieu. Peut-être aussi parce que l’appel de Dieu répond à ses attentes et à ses soifs les plus profondes.  « Où irais-je loin de ton Esprit, dit le Psaume 139, et où fuirais-je loin de ta face ? Si je monte aux cieux, tu y es. Si je me couche au séjour des morts, t’y voilà. Si je prends les ailes de l’aurore, et que j’aille demeurer au-delà de la mer, là aussi ta main me conduira, et ta droite me saisira. Si je dis : « Au moins les ténèbres me submergeront », la nuit devient lumière autour de moi. Même les ténèbres ne sont pas ténébreuses pour toi. La nuit s’illumine comme le jour et les ténèbres comme la lumière. »

Les récits de vocations nous invitent à nous laisser interpelés par l’appel de Dieu et à y répondre avec enthousiasme et joie telle la Marie de Luc qui exulte dans son Magnificat.

Pasteur Bruno Gaudelet