Nous sommes toujours joyeux
2 Corinthiens 6.4-10
Nous nous rendons à tous égards recommandables, comme serviteurs de Dieu, par beaucoup de patience dans les tribulations, dans les calamités, dans les détresses, sous les coups, dans les prisons, dans les troubles, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes ; par la pureté, par la connaissance, par la patience, par la bonté, par l’Esprit saint […] Nous ne sommes pas attristés, nous sommes toujours joyeux !
Dans le grand concert des nations, des religions, des idéologies, lorsque nous dialoguons avec nos voisins, nos familles, nos enfants, nous avons à préciser où se trouve vraiment le cœur de notre foi. Voici sept manières bien connues de centrer notre spiritualité et j’en proposerai une huitième, celle que Paul nous suggère avec son exclamation « toujours joyeux ».
- Le cœur de notre foi serait-il, comme le disait une jeune américaine dans
« la Constitution des USA, la Bible et le droit de porter des armes » ?
- La Rédemption de nos péchés par la croix du Christ mort pour nous ? La Trinité ? Le Retour prochain du Christ ?
Mais évidemment après avoir affirmé cela tout dialogue est bloqué avec la majorité de nos contemporains.
- Le Dieu créateur tout-puissant maître de toutes choses ? Cela satisfait les musulmans et les évangéliques mais surgit alors le problème des tremblements de terre, tsunamis et cancers qui rend notre religion peu crédible et Dieu peu sympathique.
- Le Sermon sur la montagne et son utopie magnifique :
« Heureux ceux qui procurent la paix, ils seront appelés fils de Dieu »
« Ne vous faites pas de souci pour le lendemain, il aura soin de lui-même… »
- La religion du travail honnête, de l’esprit de responsabilité : dans une réunion de copropriétaires un participant a obtenu un silence respectueux lorsqu’il a affirmé : « ce que je dis est vrai car moi, voyez-vous, je suis protestant ! ».
- L’esprit de liberté et d’autonomie du musée du Désert et la magnifique saga des anciens huguenots, l’exaltation procurée par le chant de la Cévenole et de A toi la gloire ?
- La prière, le saisissement éprouvé devant l’infini. Cette pensée permet le dialogue interreligieux mais il faut être un peu mystique.
Être toujours joyeux, bonheur, épanouissement.
C’est évidemment un point commun que nous avons avec tout le monde : être heureux, satisfaction, félicité, plénitude.
Avoir un amoureux (ou une amoureuse), un conjoint, des enfants, des petits-enfants.
Un bon jeu vidéo.
De la musique (musique pour les jeunes, musique pour les adultes).
Des sorties réussies dans les restaurants.
Réussir un régime amaigrissant.
Avoir des vêtements de marque (pour les jeunes, pour les adultes).
Mais il est vrai qu’on n’a pas toujours tout cela.
D’ailleurs cela ne suffit pas ultimement et si on n’a « que » cela, on éprouve à la longue un sentiment d’inutilité, de vie absurde.
Comme le dit le duc de Guiche dans Cyrano de Bergerac (Edmond Rostand, 5e acte) :
Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,
On sent, – n’ayant rien fait , mon Dieu, de vraiment mal !
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d’illusions sèches et de regrets…
L’Esprit saint nous anime ici et maintenant.
Paul le dit bien, ce qui compte est le présent ici et maintenant, même dans les situations peut-être bien peu attrayantes :
« dans les tribulations, dans les calamités, dans les détresses, sous les coups, dans les prisons, dans les troubles… »
Non pas par ce qu’on en aurait été délivré mais par « la pureté, la connaissance, la patience, la bonté, l’Esprit saint ».
Le grand mot est naturellement « l’Esprit saint ». Ce dynamisme créateur, cette puissance de vie, cet élan vital que Dieu fait monter en nous, comme Jésus nous l’a bien révélé nous permet donc, comme Paul en témoigne, de participer avec bonheur à un monde ravagé, au grand jeu de la vie, à nous y impliquer, à être conscientisé.
Dieu est celui qui est plus que nous, qui agit en nous mais qui n’agit pas sans nous.
Toujours joyeux aujourd’hui dans le monde tel qu’il est
Cette joie du Saint Esprit que Paul a expérimentée est présente et non à venir. Elle n’est pas une espérance pour un plus tard meilleur.
Il ne s’agit pas de prier pour obtenir des améliorations surnaturelles. Le bonheur n’est pas fondé sur un futur qui nous accorderait ce que nous n’avons pas aujourd’hui, sur un avenir qui finira par chasser la tristesse.
Une telle attente passive serait infantilisante.
Paul dit que la présence du saint Esprit permet de vivre avec bonheur les tribulations, les calamités, les détresses de la situation actuelle.
La présence de Dieu est par elle-même créatrice de joie. Le salut est vécu ici et maintenant, « hic et nunc » disait le professeur Karl Barth.
Peut-on donc être toujours joyeux dans l’échec ? Oui, répond Paul.
« Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès » disait Cyrano.
Peut-on donc être toujours joyeux dans la souffrance ? Oui, répond Paul. La force créatrice du saint-Esprit ne nous laisse pas démoralisés, sans ressort, même dans la souffrance. « Jusqu’à la mort » disait un ancien cantique. La souffrance n’est pas anormale : les animaux, la nature aussi souffrent. Mais si l’on puise au fond de soi la force de vie du saint-Esprit, comme l’a fait Jésus devant Pilate et même en montant au Calvaire, on peut donc affronter la souffrance avec courage.
Un chrétien n’est pas optimiste. L’idée est de pénétrer avec courage dans l’épaisseur même de la réalité du monde et non pas d’essayer de voir les choses du bon côté. On sourit d’un charismatique qui s’exclamait : « ma femme est morte, le Seigneur l’a reprise, que son nom soit béni ! »
Un chrétien n’est pas pessimiste car il sait – ou plutôt il croit – que toujours la présence divine est là, secrète en son âme alors même que la croix des forces mauvaises et destructrices est évidemment plantée en notre monde.
Mais, disait Guillaume d’Orange : « il n’est pas nécessaire de réussir pour entreprendre ».
Nous nous garderons des déplorations exagérées, des critiques systématiques. Nous ne donnerons pas la victoire au Mal par des paroles négatives et démoralisantes : nous ne dirons jamais : « Tout va mal ! ».
On peut demeurer engagé, courageux, créateur
- dans la crise économique avec le chômage, les problèmes d’insertion des jeunes.
- dans la crise écologique
- dans la crise morale avec la nécessité de refonder de nouvelles valeurs dans un monde qui évolue
- dans la crise politique où nous ne dirons jamais :
« ils sont tous pourris, quand on voit ce qu’on voit et qu’on sait ce qu’on sait on a raison de penser ce qu’on pense ! »
Car Paul disait aussi : « N’attristez pas le saint Esprit de Dieu » (Ephésiens 4.30).
Cette présence intérieure créatrice de force de vie, de fraternité et de paix est une joie de vivre que nos contemporains peuvent entendre.
Gilles Castelnau