Le dialogue calvinistes et juifs

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Le dialogue calvinistes et juifs

En cette année du 500e anniversaire de la Réforme, le contexte antisémite de la chrétienté et son prolongement amère au sein des milieux protestants – notamment à Wittenberg – a largement été rappelé par les historiens.

Bien des protestants, fiers de la bravoure de leurs devanciers envers les juifs durant la deuxième guerre mondiale, pensaient que le protestantisme était depuis toujours « philosémite ». Les rappels historiques d’aujourd’hui se muent pour beaucoup en déconvenue.

Il faut cependant noter que le changement de mentalité qui s’est opéré en occident en faveur des juifs avec l’avènement de la modernité a pris forme au sein des milieux calvinistes français du Refuge. Il vaut la peine de s’en souvenir et d’en élucider les raisons.

Calvin baignait comme Luther dans l’ambiance et l’atmosphère antisémite de l’Europe du 16ème siècle. Au travers de ses propos durs à l’encontre des juifs, on peut percevoir qu’il ne comprend pas en fait pourquoi ils ne se convertissent pas (Jean Calvin, Réponses aux questions et objections d’un certain juif, trad. Marc Faessler, Labor et fides, 2010). Que la théologie romaine les ait « endurcis » lui est compréhensible, mais puisque que la lumière est de nouveau accessible avec la réformation comment se fait-il que les juifs restent réfractaires à l’Evangile ? Les couvrant de noms offensants, il les voit comme des gens « bornés » et « réfractaires à la Parole de Dieu ». Toutefois, et c’est notable, Calvin ne traite jamais les juifs de peuple déicide et il ne reprend aucunement dans ses diatribes les stigmatisations racistes en usage. Plus encore, Calvin ne leur dénie pas le statut de peuple élu de Dieu. Plusieurs axes théologiques éclairent peut-être son positionnement : 1) La doctrine du péché originel selon laquelle tous les humains son pécheurs. 2) La double prédestination qui situe le salut sur le plan de l’élection divine et non sur celui de l’adhésion doctrinale. 3) Sa conception de la Révélation qui place les deux Testaments au même niveau. 4) Sa théologie de l’Alliance pour laquelle l’appel d’Israël est irrévocable. 5) La foi en la Providence divine qui qui s’en remet à Dieu pour le destin du peuple juif. Ces lieux théologiques essentiels de la théologie calviniste et le type d’argumentation qu’il expose vis-à-vis des juifs situent Calvin davantage du côté de l’antijudaïsme que du côté de l’antisémitisme. A t-il été lui-même antisémite ? Honnêtement je ne saurais le dire. Ce que j’observe avec la communauté des chercheurs, c’est qu’il ramène la dispute avec les juifs du côté de la théologie et donc du côté de l’antijudaïsme. Or c’est ici une nuance significative qui éclaire la suite de l’histoire du calvinisme.

 

L’historienne israélienne Myriam Yardemi, décédée en 2015, montre dans son brillant livre Huguenots et juifs (Paris, Honoré Champion, 2008) que si plusieurs des successeurs de Calvin ont partagé l’antisémitisme de l’occident chrétien, leur antisémitisme est dominé dans une large mesure par l’apologétique anti-judaïque de Calvin et non par des considérations raciales ou politiques (p..202-203). Mieux, si les héritiers de Calvin perpétuent l’apologétique anti-judaïque du réformateur de Genève, nombreux sont ceux parmi eux qui militent délibérément en faveur du « philosémitisme », « l’amitié envers les juifs ». Ce fut le cas du collègue et ami de Calvin, Théodore de Bèze qui refusa de toutes ses forces dans ses écrits de rendre les juifs responsables de la mort de Jésus (p. 46ss). Mais ce fut surtout le cas de plusieurs grandes figures parmi les huguenots calvinistes français réfugiés au Pays-Bas, en Allemagne ou en Angleterre après la révocation de l’Edit de Nantes (p. 91ss, 131ss, 143ss). Or, c’est précisément aux pays du « Refuge » au 17ème, puis au 18ème siècle que les milieux calvinistes vont progressivement faire advenir le changement des mentalités à l’égard des juifs.

 

Comme plusieurs le relèvent, ces Refuges protestants calvinistes furent de véritables greniers d’intellectuels pour l’Europe entière. Les pasteurs français ne pouvant pas tous trouver en exil un poste pastoral rémunéré, s’attèlent à toutes sortes de petits boulots, notamment sur le plan des lettres et de l’édition de livres, de traités ou d’articles de presse. Plusieurs journaux en bénéficient et ces pasteurs de plus en plus éclairés, et exerçant une influence considérable sur l’époque des Lumières, font bouger les lignes au sein de l’opinion publique européenne. L’antisémitisme ne disparait certes pas complétement – Voltaire lui-même n’en sera pas indemne – et il est certain que l’antijudaïsme reste d’actualité sur le plan de l’apologétique théologique. Il n’en demeure pas moins que de plus en plus de voix parmi les calvinistes français du Refuge réclament maintenant la tolérance, non seulement pour les huguenots, mais aussi pour les juifs. Leurs efforts sont secondés avec enthousiasme par les philosophes des Lumières et par le public éclairé (M. Yardeni, p. 193ss). L’Edit de tolérance sera signé en 1787.  En France, depuis la révocation de l’Edit de Nantes en 1698, les protestants vivent le temps du « désert ». De 1702 à 1704 la guerre des Cévennes qui oppose les Camisards aux armées du roi est sanglante et réprimée durement. C’est pourtant bientôt le temps du relèvement de l’Eglise Réformée par Antoine Court. Une nouvelle époque s’ouvre alors en France, celle où de fringants députés protestants tels Antoine Barnave, Pierre-Joseph Cambon, André Jeanbon Saint-André, Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne et Jean-Paul Marat, luttent désormais pour la liberté de conscience et pour la reconnaissance des droits des minorités religieuses protestantes et juives.

 

On le voit, héritier de la chrétienté le protestantisme a très mal engagé le dialogue avec le judaïsme. Néanmoins, c’est des milieux calvinistes français du Refuge que le changement des mentalités a germé au sein de l’occident. On peut regretter la prégnance de l’antisémitisme tout au long de cette évolution. On peut déplorer la lenteur du travail de l’histoire et des mentalités. La théologie calviniste n’en a pas moins mûri ce changement et permis – à son corps défendant, car tel n’était pas son premier objectif – de nouer un dialogue fraternel et bienveillant entre protestants et juifs.

 

Sur le plan herméneutique où je me situe, je note que cette évolution est allée de pair avec un changement de regard vis-à-vis du statut de l’Ecriture. Tant que les textes bibliques étaient regardés comme littéralement inspirés et communiquant, sans efforts herméneutiques, la « Parole de Dieu », la théologie calviniste tenait pour « jugement divin révélé » toutes les polémiques néotestamentaires à l’encontre des juifs. Les choses ont changé lorsque l’exégèse critique prit son essor et bouleversa la façon de faire de la théologie. Cette modernité exégétique et théologique est-elle le produit de son temps ? Exprime-t-elle en terrain théologique les aspirations et les exigences de rationalité des modernes ? A t-elle contribuée, au contraire, à façonner la modernité et l’esprit critique des Lumières ? Les choses sont toujours mêlées, mais si c’est aux fruits que l’on reconnaît l’arbre, alors le changement de regard vis-à-vis des juifs en terrain calviniste doit être considéré comme le résultat d’une herméneutique portant, tel un bon arbre, de bons fruits.

 

 

Bruno Gaudelet est pasteur, docteur en philosophie (post-doc EPHE) spécialisé en herméneutique.

Son dernier livre Le Credo revisité (Olivetan, 2015) présente une théologie consciemment herméneutique.