Introduction
Un professeur de théologie américain demandait à ses étudiants d’imaginer en quoi leur foi serait modifiée si on leur prouvait – avec des preuves indiscutables – que Jésus n’avait jamais existé. Un grand silence lui avait seul répondu.
Je sais bien ce que je dirais :
Si Jésus-Christ n’avais jamais existé, il subsisterait pour moi l’image d’un homme crucifié et ressuscité.
– Je n’ai pas de respect pour un Zeus brandissant la foudre.
– Je souris du vieillard de la chapelle Sixtine touchant d’un geste délicat le doigt d’Adam. (pourquoi d’ailleurs Michel Ange n’aurait-il pas représenté aussi une femme jeune et noire ?)
– Je suis horrifié à l’idée du gardien de la porte du paradis et de l’enfer qui peut nous orienter selon son jugement vers l’une ou vers l’autre.
– Je suis indifférent à l’égard de la vibration lumineuse animant incognito le big-bang des galaxies.
Mais je suis ému et enthousiasmé par le dynamisme créateur qui a relevé – ce qui était évidemment impossible, mais qui, je le crois, fut possible – le crucifié vaincu, moqué, condamné, écrasé par la souffrance, par les ténèbres et par la mort.
Je contemple, plantée dans notre monde, la croix symbolisant la souffrance et la mort mais j’aime la tradition protestante de la représenter vide, sans le corps du crucifié puisqu’il est ressuscité.
Cette image traverse d’ailleurs toute la Bible.
Et au professeur américain j’aurais répondu : si vous me prouviez que Jésus n’a jamais existé, si vous me priviez de ce symbole central de ma vision du monde et de mon espérance, j’en cueillerais mille autres dans les pages de la Bible :
– La sortie d’Égypte, du pays de l’esclavage, de la souffrance et du désespoir par l’impossible passage à travers la mer Rouge pour l’entrée merveilleuse – et finalement possible – dans le pays mythique « où coulent le lait et le miel ». (Exode 3.8)
– La victoire impossible et finalement possible de David, le petit pâtre sans armes sur le terrible géant Goliath menaçant et terrorisant le peuple Hébreu. (I Samuel 17.4)
– L’impossible prière du psalmiste : « des profondeurs, je t’appelle, Éternel » (Ps 130).
– L’impossible retour d’Israël de la déportation à Babylone que rapporte Ézéchiel où Dieu dit : « je mettrai mon Esprit en vous et vous vivrez et je vous ramènerai dans le pays d’Israël » (Ezéchiel 17.14)
– L’impossible parole adressée par Jésus au paralysé : « Prends courage, lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison ». Matthieu 9.2)
– L’impossible espérance promise : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » (Matthieu 5.4)
– L’impossible parole adressée au chef haï des collecteurs d’impôts de Jéricho et qui voulait voir Jésus : « Zachée hâte-toi de descendre, il me faut demeurer dans ta maison… car celui-ci aussi est un fils d’Abraham ». (Luc 19.5)
Attitudes, paroles caractéristiques du Dieu de la vie, de l’Esprit de Résurrection. Paul disait : « Si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vaine » (I Corinthiens 15.17)
C’est cela la foi chrétienne : non pas répéter qu’un jour un crucifié dans l’obscurité de son tombeau s’est dressé tout seul, en rejetant son suaire de façon surnaturelle, mais prendre conscience de la présence en nous – et en « tout ce qui respire » (Psaume 150) – du Souffle créateur de vie, de la compassion divine source de renouveau, qui monte en nos cÅ“urs, en l’âme de celui qui justement en a tellement besoin.
Résilience rendue possible à ces forces destructrices qui nous tirent vers le bas, nous environnent de souffrance, d’angoisse, de désespoir. Esprit de vie qui se mêle à notre propre esprit et fait justement que dans le malheur, le désespoir ne domine pas mais au contraire nous rend plus ouvert, plus panoramique, plus réceptif, plus heureux.
Alors finalement je dirais à ce professeur américain : je suis environné d’une si grande nuée de témoins qui ont expérimenté la force de vie qui surgit toujours à nouveau au moment où la mort envahit tout, qui ont vu cette lumière alors que l’obscurité régnait, qui se sont relevés comme le paralysé alors que c’était impossible, qui ont espéré contre toute espérance, qui se sont sentis dans leur détresse et leur péché la vie persister en eux, et qu’ils sont aimés, acceptés, pardonnés, relevés.
Nous somme si nombreux à avoir expérimenté la Résurrection du Crucifié que nous considérons la croix vide comme le symbole central de la présence de guérison qui agit en nous, du Dieu de la Vie.
Gilles Castelnau