Textes bibliques à lire : Genèse 28, 16, Job 23, 3-9, Jean, 20, 26-29
Chers Frères et Sœurs,
Ceux d’entre vous qui sont des habitués de ce temple peuvent certainement constater avec moi qu’il y a bien peu de dimanches où notre pasteur ne nous met pas en garde contre ce qu’il appelle de manière imagée « la pensée magique ».
En gros, celle d’un dieu qui serait effectivement « notre » dieu, une sorte de super correspondant ; un surhomme aussi, capable – normal puisqu’il est dieu – de surmonter toute difficulté, d’aplanir tout différent, d’éradiquer le mal, de punir immédiatement celui qui a commis une faute, voire de récompenser le bon, le juste… Un dieu familier en somme, prompt à satisfaire nos désirs. Un dieu exactement à notre image.
Poussant l’image encore un peu plus loin, notre pasteur n’a pas hésité, dernièrement, lors du culte de Pentecôte, celui où sont accueillis certains de nos jeunes à la Cène, à dire en chaire : « chers jeunes, n’est-ce pas, vous voici bien mis en garde contre la tentation de la représentation du Grand Barbu ». Ce Grand Barbu que nous voyons sur bien des tableaux, dont beaucoup sont, par ailleurs, de belles œuvres d’art.
Derrière tout ceci, ce mot dieu, avec ou sans un D majuscule. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet de la séduction toute humaine du langage anthropomorphique, en rappelant que dès le premier testament est posée l’interdiction absolue de se faire une représentation de Celui que l’on ne nomme pas, en y substituant en quelque sorte le tétragramme sacré de YHWH ; on rappelle que nos frères juifs disent « Adonaï », c’est-à-dire : le Seigneur.
En une autre approche, on notera aussi que Dieu est présenté par Jésus comme un Père, voir par ex. en Mat. 6.6 : « Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est dans le (lieu) secret, et ton Père qui voit dans le secret te le rendra ».
Un Père bienveillant et affectueux, auquel Jésus donne le nom de Abba, qui est la forme araméenne du mot hébreu pour « Père ».
Dans un autre lieu, cette fois le temple d’Uzès où je me trouvais le dimanche de Pâques, Michel Jas, le pasteur, citant ce passage de Jean que nous venons de lire : « les portes étaient fermées » rappelle que Jésus se rend présent « autrement » à ses disciples. Et, c’est ce qui m’a fait m’interroger, Michel Jas citait alors Jean-Daniel Causse :
« Il y a une discontinuité, un signifiant manquant. Par la résurrection, le christianisme est constitué dans un rapport à ce qui lui manque. Il y a ce tombeau vide, ce tout, cette absence, donc ce qui n’est pas là. Il s’agit de parler à partir de ce point vide et non pas en l’occultant ». (Traversées du Christianisme, Paris, 2013).
Ainsi, si je résume :
- D’un côté, une tentation récurrente et infantile d’un anthropomorphisme sécurisant ; mais totalement vain ;
- De l’autre, la proposition, strictement opposée, d’une pure non représentation, d’une béance, d’une absence, qui constituerait le point de départ.
D’où ma question ce matin et ce sera peut-être donc moins une prédication qu’une méditation, ou un partage d’interrogation :
Comment voir ? Et peut-être en fait « regarder au-delà ».
Pour tenter avec vous d’approcher une réponse, en tout cas, une ou des pistes de réflexion, je suis allé visiter la bibliothèque pastorale. Et là, je suis tombé sur un essai écrit par Laurent Schlumberger, intitulé Dieu, l’absence et la clarté, que j’ai lu, qui m’a marqué, que j’ai voulu partager avec vous. Je vous invite à le lire, ne serait-ce que par la crainte que j’ai, devant vous, ce matin, de ne pas bien vous en rapporter quelques extraits.
Au travers de ce qu’il intitule un Essai sur la pertinence du protestantisme, Laurent Schlumberger nous rappelle ce qui forme les fondamentaux de notre confession.
Ainsi :
- Rien n’est sacré en dehors de Dieu
- Dieu aime chacun gratuitement
- L’essentiel c’est la foi
- La lecture de la Bible nourrit notre foi
- Tous sont appelés à témoigner
- Il est nécessaire de se réformer sans cesse.
Mais surtout, et c’est ce qui m’a le plus passionné dans cet essai, c’est que Laurent Schlumberger met en exergue de sa réflexion, pour en quelque sorte illustrer son premier chapitre intitulé Soli Deo Gloria, la phrase suivante :
« La bonne nouvelle de l’absence de Dieu ».
Ainsi, entre ce dieu anthropomorphe que nous avons tant et tant imaginé, représenté, peut-être même désiré, et ce Dieu à peine dénommé par le tétragramme sacré de Celui que l’on ne nomme pas, Laurent Schlumberger, allant peut-être ici encore plus loin que notre pasteur, vient se réjouir de l’absence de Dieu !
Que veut-il dire ici, en tant que pasteur de notre église, théologien, auteur, formateur ?
Laurent Schlumberger part d’un constat que nous pouvons, il me semble, partager :
D’un côté, le sentiment d’une perte de vitesse du message chrétien ; et de l’autre, comme une montée du fait religieux, mis à toutes les sauces et parfois aux pires. Pour caricaturer, Laurent Schlumberger écrit que le mot « Ascension » éveille plus chez nos contemporains la possibilité d’un long week-end (que l’on espère ensoleillé) qu’un temps de réflexion spirituel. Les vieux mots de « faire ses Pâques » ou de « Carême » ont un relent de poussière vieillotte, ou le charme suranné de ce que disaient nos grands-parents. Par contre, on n’hésite pas à se tourner vers les églises, quelles que soient les confessions, pour qu’elles nous donnent du sens, des repères, des points fixes… On gémit sur les pertes de valeur… On se dit : non, mais Dieu qui voit tout ça (sous-entendu : tout le mal), il ne fait rien ? Où est-il, que fait-il ? C’est intolérable. Alors aussi, on met en scène, parfois avec talent, un dieu, voire un Jésus superstar, dans des productions cinématographiques. C’est visuel, donc ça parle. Et puis, on peut se projeter, s’identifier. C’est « du vrai », de l’incarné, du visible, du palpable, du touchable ; ça rassure, ça met de la chair, des sentiments, des émotions ; ça peut même véhiculer des « valeurs » : celui présenté comme « bon » est récompensé, le « mauvais » connaît son jugement, voire son châtiment. Et comme, naturellement, chacun se met dans la peau du « bon », on se sent conforté, réconforté, approuvé. En paix avec soi-même, en quelque sorte.
Or, et Laurent Schlumberger l’écrit parfaitement :
« Plus des Eglises ou des chrétiens s’agiteront pour réintroduire un Dieu perçu comme absent dans le savoir, l’histoire ou le devoir, plus ces efforts apparaîtront pour ce qu’ils sont : une tentative pathétique pour retrouver une parcelle d’influence dans une société qui les a dépassés et donc, au-delà, comme une incapacité à vivre un Evangile percutant au cœur du monde tel qu’il est ».
Le pas d’après, dans cette réflexion, va de soi :
« Ce que je crois, à l’inverse, c’est que l’absence de Dieu est au cœur du message des Ecritures.
Et que c’est là une bonne nouvelle ».
Oui, chers frères et sœurs, vous avez bien entendu : non seulement l’absence de Dieu est au cœur des Ecritures, mais encore ceci est réjouissant. Un peu fort, quand même ! Après notre pasteur qui vient de lui-même, dimanche après dimanche, déconstruire en chaire le Grand Barbu qui est pourtant bien dans nos têtes, voici un autre pasteur de notre Eglise qui n’hésite pas à écrire l’absence de Dieu comme étant une centralité des Ecritures, et à s’en réjouir…
En témoignent, dans le premier testament, les quelques épisodes bibliques que rapporte Laurent Schlumberger :
- Au centre du jardin d’Eden, la limite établie par Dieu. Si tout le jardin est à la disposition, les deux arbres du centre « maintiennent un espace qui est comme un vide », puisque l’homme et la femme se voient enjoindre de ne pas y avancer. C’est ce vide, justement, qu’ils ne vont pas supporter et qu’ils transgressent, quittant la confiance dans laquelle ils furent créés pour entre dans la méfiance, qui nous hante encore.
- Au Sinaï, Dieu est « au cœur de la nuée, c’est-à dire d’un phénomène qui le rend visible … en le rendant invisible » ; et dans dix paroles, certaines se lisent en creux : tu ne me représenteras pas, consens à faire donc une absence dans ton imaginaire ; ne prononce pas mon nom en vain, c’est-à-dire fais une absence dans ton langage ; ne travaille pas le septième jour, c’est-à-dire fais une absence dans tes œuvres de la semaine.
- A l’Horeb, « c’est dans le bruissement ténu d’un silence subtil» que se fait la rencontre de Dieu par Elie.
Quant au second testament, et la centralité de la venue de Jésus au milieu de nous, il s’achève, si je puis dire, par le tombeau vide.
Ainsi, ce Dieu vivant, ce Dieu proche, ce Dieu qui se fait connaître, est avant tout Celui de la promesse, de l’attente, de l’espérance.
Dans le passage de Job que nous avons lu, Job cherche un Dieu qu’il ne trouve ni à l’est ni à l’ouest, ni au nord, ni au sud. Mais dans sa seconde réponse au Seigneur, Job achève par ses mots : « Eh oui ! j’ai abordé, sans le savoir, des mystères qui me confondent. « Ecoute-moi », disais-je, « à moi la parole, je vais t’interroger et tu m’instruiras ». Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant, mes yeux t’ont vu » (Job, 42, 3-5). Ainsi, « l’ultime réponse de Dieu, c’est Dieu lui-même mais là où Job se tient, c’est-à-dire dans l’absence de Dieu. Dieu vient se loger dans l’absence de Dieu. Il se fait connaître non plus « en plein », mais « en creux ».
Et au cri de « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » répond le matin de Pâques, le tombeau visuellement vide mais Christ, le Ressuscité.
Pour résumer, « là où l’on attend un Dieu qui bouche tous les manques par sa présence, il creuse les manques par son absence ».
Chers Frères et Sœurs, il est temps de terminer cette méditation devant vous. Laissez-moi, en forme de conclusion, vous dire encore deux choses.
La première, qui est visuelle : lorsque chaque dimanche nous pénétrons dans ces lieux, nous voyons, avec nos yeux, surplombant et la chaire d’où la Parole est souvent prêchée et notre Bible, ouverte, deux morceaux de bois dont l’un est vertical et l’autre horizontal. Nous appelons ces deux morceaux de bois ainsi montés une croix. Si nous demandons à un petit enfant ce qu’il voit, je pense qu’il répondra qu’il voit ces morceaux de bois, peut-être dira t’il que ceci est une croix. Mais si je vous demande ce que vous y voyez, au-delà de cette croix sur laquelle il n’y a en effet rien, vous me répondrez que vous y voyez le souvenir de la crucifixion ; vous me direz aussi que, pour vous, pour nous, vous y voyez Celui qui n’y est pas, qui n’y est plus, celui qui vit, c’est-à-dire Christ, le Ressuscité, vivant.
Qu’avons-nous besoin d’images, qu’avons-nous besoin de représentation ? Le « immédiatement visible » nous sature, nous enferme et l’immédiateté contemporaine aliène plus qu’elle ne libère.
La seconde chose : En Jean, 20, l’évangéliste met dans la bouche de Christ, le Ressuscité, les mots suivants : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! ».
Je vous propose ce matin de conjuguer ceci au présent et de dire encore et encore : heureux sont ceux qui ne voient pas et qui croient, en se rappelant toujours la certitude de ce qui nous a été dit, et qui est notre roc :
« Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mat. 28, 20)