Quand l’Evangile se raconte de père en fille, par Marie-Claire Gaudelet

Publié le 17 septembre 2019

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Exemple

Quand l’Evangile se raconte de père en fille, par Marie-Claire Gaudelet

Mon Père m’ayant fait l’honneur et la joie de me dédicacer son dernier livre, je ne pouvais guère refuser la présentation de cet ouvrage dont j’ai suivi les différentes étapes de réflexion et de composition.

 

Une œuvre issue de la prédication

 

Notons avant tout que chacune des narrations rassemblées dans ce livre sont le fruit de la prédication. Je me souviens des veillées du vendredi saint – nous habitions Perpignan- où sont nées ces figures narratives. Dans une ambiance feutrée, entre chants et partage de la cène où nous goûtions le pain azyme, l’un des disciples du rabbi galiléen nous rejoignait à travers le temps et l’espace. Bien sûr le témoignage qu’ils nous livraient, était fictif. L’enjeu de ces narrations n’étaient pas de reconstruire historiquement la rencontre bouleversante de ces personnages avec Jésus, mais plutôt de nous faire comprendre, au moyen d’une mise en scène finement conçue, ce dont ils témoignaient. A partir de l’étude sérieuse et approfondie des textes bibliques qu’implique toute prédication, en tenant compte des débats soulevés par la critique exégétique et sur la base de son expérience pastorale, mon père avait imaginé à la manière d’un metteur en scène les dialogues et le cheminement intérieur d’une Marie-Madeleine, d’un Pierre ou encore d’un Paul. Ces personnages et plusieurs autres, ont ensuite été repris et « augmentés » pour les mêmes occasions liturgiques à Neuilly ; ce qui a nourri une correspondance théologiquement argumentée entre mon père et moi. C’est sans surprise mais néanmoins avec enthousiasme que j’ai appris l’adaptation radiophonique de ces récits pour les émissions de Carême diffusées sur France Culture.

 

Une œuvre théologique

 

Dans sa Préface, mon père écrit : « il n’y a pas de prédication narrative sans les res­sources de l’exégèse historique et littéraire, d’une part, et celles de l’exégèse narrative d’autre part ». Chacun sait que l’herméneutique, philosophique et théologique, est son grand sujet. Il lui a consacré sa thèse et sa post-thèse. Lui-même ne se cache pas d’avoir voulu présenter ici un essai d’herméneutique appliqué sous forme narrative, c’est-à-dire de présenter au travers de ses personnages une démonstration d’interprétation par l’exemple. Cette méthode est aussi employée dans la tradition juive (notamment talmudique) pour illustrer les concepts abstraits au moyen des midrash (procédé littéraire mettant en scène ou débattant des idées). On notera ici, la maîtrise des débats et des discussions soulevés par l’exégèse historique et critique, mais également ses orientations théologiques. En effet, Quand l’Evangile se raconte reprend et illustre un certain nombre de points théologiques présentés dans Le Credo revisité. Par exemple le message de Pierre sur le pardon, le sens des récits de Pâques chez Marie-Madeleine et Paul ou encore le discours de Jésus sur Dieu (théo-logie) renvoient aux interprétations exposés dans Le Credo revisité (particulièrement les chapitres II, III, V, XII, XXII, etc.).

 

Une œuvre multidisciplinaire

 

Nous venons d’évoquer l’herméneutique théologique et philosophique, arrêtons-nous quelques instants sur l’exégèse narrative. La narratologie s’intéresse aux procédures littéraires qu’un auteur utilise pour construire son récit. L’exégèse narrative vise à cerner le sens du texte pour lui-même. Pour y parvenir, elle s’efforce de discerner le type de narrateur convoqué par l’auteur, le type de lecteur idéal du récit, le fil et le nœud de l’intrigue, la façon dont les personnages sont façonnés et bien sûr la ou les thèses de l’auteur. J’utilise moi-même ce type de lecture et d’analyse dans ma paroisse de saint Paul à Strasbourg, et je constate en direct les vertus pédagogiques et l’efficacité de cette façon de lire et de faire lire les récits bibliques. Au final, Quand l’Evangile se raconte, convoque et entrecroise plusieurs champs disciplinaires. Comme mon père me l’écrivait au moment où il rendait son manuscrit à l’éditeur : « Monsieur et madame Toutlemonde y verront des contes distrayants, le romancier et le scénariste s’intéresseront à la construction des personnages et aux trames, l’exégète historico-critique y retrouvera des questions débattues, le narratologue distinguera entre le narrateur premier et le narrateur secondaire, entre le lecteur réel et le lecteur implicite et dissertera sur l’intrigue, le théologien y trouvera une méta-théologie et l’herméneute une méta-herméneutique en dialogue avec l’école. Voilà qui promet de beaux débats. »

 

Exemples d’interprétation qui font sens

 

Parmi les différentes interprétations mises en scène dans les narrations j’en relèverai deux qui me paraissent théologiquement signifiantes : celle de Thomas et celle de Nicodème.

 

  • Arrêtons-nous tout d’abord sur le personnage attachant de Thomas, jumeau du lecteur en quête de « vérité absolue». Dépeint comme un homme attaché à la hokhmah, la sagesse hébraïque, le personnage de Thomas conçoit la foi comme l’expérience de la présence de Dieu dans nos vies. Cette expérience ne relève pas du domaine visible et quantifiable. Elle est de l’ordre de la relation personnelle et de la confiance placée en Dieu. Cette conception éclaire sous un nouveau jour la parole « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! ». Dans cet optique, les récits de miracles illustrent la restauration de cette relation avec Dieu. Pour le dire autrement, les guérisons opérées par Jésus dans les Evangiles représentent en actes ce que la Bonne Nouvelle accompli dans la vie de ceux qui l’accueillent. Tel est le commentaire théologique et spirituel que nous livre ici le personnage de Thomas. Un commentaire qui combine en filigrane les différentes données de la recherche exégétique sur le Jésus historique et sur le contexte de rédaction des évangiles. La narration de Thomas met ainsi en lumière le « Jésus Maître de sagesse » ou hassidique des évangiles. L’interprétation qu’il donne des récits de miracles, lie quant à elle les données de l’exégèse critique sur le contexte sanitaire de l’époque, la tradition du « Jésus guérisseur » révélé par la recherche historique, mais aussi – et ce n’est pas de moindre importance – les données de la recherche sur la rédaction des évangiles, recherche qui s’intéresse à la façon dont les évangélistes ont écrit et utilisé leurs matériaux.

 

  • La narration de Nicodème a pour sa part le mérite de brosser un tableau narratif sous l’angle des adversaires de Jésus. Nicodème est dépeint comme un personnage honnête qui, tout en exposant la gêne ou les craintes des pharisiens, suit un cheminement intérieur qui vient à bouleverser sa perception du rabbi galiléen et son interprétation de la Torah. La thématique théologique de la nouvelle naissance, comprise comme une naissance à la vie spirituelle, devient en effet la clef de lecture des récits vétérotestamentaires et notamment du récit de l’Exode. Cette mise en scène narrative tient non seulement compte du contexte historique des auteurs des évangiles marqué par des tensions à la fois externes – avec les synagogues juives – et internes – avec des courants hétérodoxes tel que le gnosticisme – mais elle rappelle aussi les racines juives du christianisme naissant. Les évangélistes étaient bien entendu eux-mêmes juifs ! C’est donc dans le réservoir biblique vétérotestamentaire qu’ils puisent leurs références et les symboles pour les réinterpréter.

 

Un reproche

 

Fille ou pas fille de l’auteur, point de recension sans que soit souligné le plus « objectivement » possible, au moins un reproche. Selon moi l’introduction n’avertit pas suffisamment le lecteur non-spécialiste de la narratologie de la « nature » herméneutique de l’ouvrage (ce qui, soit dit en passant, est un comble pour un spécialiste de l’herméneutique).  « Tu as bien essayé Papa de prévenir tes lecteurs dans ton Introduction que tes narrations relevaient de l’herméneutique et non d’une quête historique aussi impossible qu’improbable. Mais, de mon point de vue, tu n’as pas suffisamment expliqué que la narratologie relève du commentaire théologique et fonctionne comme le midrash au sein de l’exégèse juive. Certes, les discours que tu places sur les lèvres de tes personnages proposent des solutions herméneutiques à de multiples débats exégétiques et théologiques soulevés par les récits bibliques. Mais il faudra être davantage explicite dans la prochaine édition si tu ne veux pas que le piétiste de base te reproche de réécrire les évangiles ou confondent entre tes interprétations et le leurre du fondamentalisme qui cherche à établir la vérité historique des personnages bibliques. D’ici là, tout de même well done Dad ! ».

Pasteure Marie-Claire Gaudelet

 

 

 

 

 

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