Mariage ou bénédiction nuptiale ?

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Exemple

Mariage ou bénédiction nuptiale ?

Etude sur le mariage et la bénédiction nuptiale (I)

Le magistrat étant considéré en bonne théologie calviniste comme un ministre de Dieu, et le mariage comme relevant de l’ordre créationnel, les protestants ont plutôt bien accueilli la décision de l’Etat de s’arroger la validation du mariage. D’autant que, nous l’avons signalé, la Réforme s’était davantage préoccupée de l’aspect public et légal du mariage que de sa cérémonie. Cela dit, la liturgie du mariage du régime concordataire, perdura en France dans la même forme qu’elle avait en vigueur avant les lois de séparation, c’est-à-dire, en maintenant les promesses et l’engagement des époux comme si la célébration présidée à la mairie par l’officier de l’état civil, n’était pas suffisante pour qu’il y ait mariage authentique[49].

Bernard Reymond et Laurent Gagnebin s’émeuvent de la constatation et se demandent, études liturgiques et théologiques à l’appui, s’il n’y a pas ici quelques incohérences pour les protestants, voire quelques craintes secrètes de perdre un peu plus de crédit et d’influence dans leur société[50].

Selon Bernard Reymond : « – Ou bien on juge nécessaire l’échange de promesses à l’Eglise, ce qui revient à tenir pour douteuses, pour trop superficielles ou même pour carrément nulles celles que requiert l’état-civil, et l’on aboutit à dénier toute compétence et tout sérieux à l’Etat, ce qui est contraire à la conception réformée du ministère qui incombe au magistrat. – Ou bien l’on tient les promesses civiles pour de vraies promesses, engageant ceux qui les échangent tout aussi résolument que des promesses faites expressément devant Dieu, on plaide auprès d’eux pour leur plein respect, et l’on s’abstient par conséquent de les redoubler par des promesses à l’Eglise Â»[51].

Quant à Laurent Gagnebin, après avoir souligné en premier lieu qu’en raison du sens juridique et légal inhérent au terme même de « mariage Â», le vocable « mariage religieux Â» est inadéquat et qu’il doit être absolument remplacé par « bénédiction nuptiale Â», fait valoir en second lieu, que le mariage à la mairie est autant un mariage devant Dieu que s’il avait lieu au temple. Â« Si Dieu est Dieu et règne sur notre vie toute entière, si sa seigneurie n’est pas réservée au champ clos des temples et des sacristies, nous ne voyons pas pourquoi des engagements pris à la mairie ne le sont pas, eux aussi – même si c’est implicitement – devant Lui Â»[52].

La question est ainsi posée, compte tenu qu’en théologie protestante c’est le consentement mutuel des époux qui fait le mariage[53], faut-il continuer à redoubler au temple les promesses et l’engagement qui ont lieu à la mairie ?

Après avoir comparé quatre liturgies de mariage éditées de 1962 à 1983[54] avec les principes de l’Eglises Réformée de France[55], Laurent Gagnebin propose, en se basant sur le modèle de la liturgie de l’Eglise Évangélique Luthérienne de France, d’une part, de faire davantage référence aux engagements pris à la mairie et d’autre part, de présenter explicitement la bénédiction nuptiale au temple non pas tant comme la confirmation de l’engagement du couple envers Dieu, que la confirmation de l’engagement de Dieu vis-à-vis du couple[56]. Au reste, plutôt que de donner l’impression que l’on dévalorise l’aspect civil du mariage par le redoublement des promesses, Gagnebin estime qu’on devrait plutôt « rappeler aux conjoints qu’un oui est un oui où qu’il soit prononcé, et les inviter à respecter vraiment les engagements importants qu’ils viennent de prendre à la mairie Â»[57].

Conclusion

Nous sommes réceptifs aux arguments de Laurent Gagnebin quant à la nécessité de ne pas redoubler dans la liturgie nuptiale le consentement et les promesses que les époux se sont donnés lors de la célébration civile, comme si rien ne s’était passé avant la cérémonie cultuelle. Cela dit, il importe également que le sens et la différence des contenus respectifs des deux cérémonies soient clairement signifiés. Pour aussi légitimes qu’ils soient, les agents de l’Etat ne peuvent en aucun cas transmettre au mariage la dimension « chrétienne Â» du mariage. En somme, ce n’est pas la validité du mariage civil ou sa suffisance en théologie protestante qui est en cause dans ce débat, mais la manière de poser le mariage chrétien. Si le mariage est une affaire temporelle, universelle et non spécifiquement chrétienne, il n’en est pas moins vrai qu’il y a une façon chrétienne de le considérer, de le vivre, et par conséquent de le « dire Â». Or, ce « dire Â» chrétien du mariage appelle effectivement une cérémonie liturgique spécifique dont le contenu ne pourrait être transmis à la mairie sans remettre en cause la laïcité de la République. Certes, cela n’oblige pas à redoubler les promesses et l’engagement pris lors de la cérémonie, mais cela invite à penser la liturgie nuptiale en fonction du « dire Â» et du « projet Â» chrétien du mariage.

NOTES

[49] Le phénomène fut le même en Suisse. Bernard Reymond, art. cit., p. 6ss.

[50] Bernard Reymond, art. cit., p. 7. Laurent Gagnebin, « La bénédiction nuptiale : principes protestants et ambiguïtés liturgiques Â» in Etudes Théologiques & Religieuses n° 69 (1994/2), p.231-244.

[51] Bernard Reymond, art. cit., p. 9-10.

[52] Laurent Gagnebin, art. cit., p. 241.

[53] Ibid., p. 235. Eric Fuchs précise qu’il s’agit du consentement public, car si le consentement privé peut ouvrir à la sexualité et même à la conjugalité, le mariage implique la publicité du consentement mutuel. Cf Le désir et la tendresse, op. cit., p. 182.

[54] La liturgie de l’ERF de 1963, celle de l’Eglise Nationale Evangélique du Canton de Vaud de 1962, Le projet de liturgie de mariage de l’ERF de 1983, et la liturgie de l’Eglise Evangélique Luthérienne de France de 1980. Laurent Gagnebin, art. cit., p. 236-241.

[55] Indiqué dans le préambule de la liturgie de 1963 « La doctrine réformée traditionnelle considère qu’un mariage est conclu par l’engagement solennel des époux l’un envers l’autre. La loi civile exige qu’il y ait été pris d’abord devant les autorités administratives. La cérémonie religieuse manifeste que cet engagement est pris par les époux devant Dieu. L’Eglise leur annonce la Parole de Dieu, bénit leur union et intercède pour eux Â». Liturgie de l’Eglise Réformée de France, Paris, Bergers-Levrault, 1963, p. 287 cité par Laurent Gagnebin, art., cit., p., 236.

[56] Laurent Gagnebin, art. cit., p. 239.

[57] Ibid., p. 242.