Lectures : Luc 2.10 et 5.17-30
La même parole de joie du « salut » a été adressée aux bergers dans leur champ et à Siméon et Anne servant pieusement Dieu dans le Temple.
Siméon et à Anne étaient parfaitement intégrés et fidèles à la religion d’Israël, et on ne dit rien de la foi et de la valeur spirituelle ou de l’incrédulité des bergers .
On pense parfois que pour bénéficier de Dieu il faut être pratiquant comme Siméon et Anne, ou au moins avoir un esprit religieux, mystique, tourné vers la spiritualité, aimer la méditation. Et même que la vie méditative est le salut religieux.
Mais si on est de ceux qui n’ont pas tellement le temps pour les choses religieuses, qui n’y pensent pas trop, qui n’y croient qu’à moitié on est comme les bergers, qui reçoivent le même message du « salut » que les si pieux et si fidèles Siméon et Anne.
D’&illeurs ni Siméon et Anne ni les bergers ne reçoient d’explication concernant ce « salut » : il faut lire la suite de l’Évangile pour le découvrir. Et c’est ce que nous allons faire en lisant le récit du paralysé.
J’ai remarqué qu’un livre pour enfants – coloré, vivant et sympathique par ailleurs – racontait l’histoire des bergers en changeant le titre de « sauveur » qui situe l’œuvre de Jésus dans le monde des hommes par le titre de « fils de Dieu » qui le place dans le monde divin.
Mais l’ange parlait d’une « grande joie » : il y a « joie » si un « sauveur » nous réoriente, nous replace dans une situation d’épanouissement intérieur, s’il agit dans le domaine de notre humanité vécue.
Il n’y a pas « joie » si l’on se trouve face à un « Fils de Dieu », qui nous rencontre donc dans le domaine surnaturel : il y a alors respect, adoration sans doute, mais pas joie.
La présence du surnaturel nous place dans la situation modeste d’homme infantilisé réduit à une prière humble de requête – peu souvent exaucée, d’ailleurs.
La présence du sauveur agissant dans notre humanité nous place dans la situation épanouie de l’homme rendu à son état de maturité libérée et la prière se fait méditation apaisée et tonique de celui qui considère le monde et sa propre vie avec le regard de dynamisme créateur que Jésus-Christ, précisément, va nous enseigner.
Qu’est-ce que le « salut » ?
En 5.17, avec l’histoire du paralysé, le ministère de Jésus commence vraiment. Luc rédige une série de 5 textes où dans la présence hostile des pharisiens, Jésus parle, agit, manifeste le « salut » qui provoque la « joie » des hommes.
A à la fin du 5e récit les pharisiens en ont assez vu et décident de la mort de Jésus.
On se souviendra qu’à Gethsémané dans la nuit d’angoisse précédant son jugement et sa crucifixion Jésus demande si « cette coupe pourrait s’éloigner de lui ».
Je pense qu’effectivemment cela aurait meme été très facile. Il lui suffisait d’aller demander amende honorable aux pharisiens et de rentrer dans le rang. Ou de s’enfuir à l’étranger. La bonne nouvelle du salut aurait alors été abandonnée et tout ce que je vais dire maintenant n’aurait pas d’exitence. En allant jusqu’à la croix, Jésus a donné toute sa consistance au message de libération qu’il apportait de la part de Dieu.
Cet ensemble de cinq textes est l’évangile dans l’évangile.
Le premier récit est celui du paralysé pardonné et guéri.
Amené par des gens, certes croyants, mais ne manifestant lui-même aucune foi et aucune demande, cet homme s’entend dire par Jésus qu’il était « pardonné » et qu’il pouvait « se lever et marcher ».
Pardonné sans repentance, sans attendre le yom kippour selon la règle juive et invité à marcher alors qu’il était paralysé. Scandale pour les pharisiens qui enseignaient – comme les juifs d’aujourd’hui – que le Kipour est une fête grave et sérieuse au cours de laquelle on médite la gravité de nos fautes et on pratique des rites montrant que l’on demande à Dieu le pardon de nos fautes. Rien de tel pour Jésus.
« Seul Dieu peut pardonner les péchés » disent les pharisiens.
Quelle est l’idée traditionnelle de Dieu symbolisée par les pharisiens, et dont le salut de Jésus libère les hommes pour leur plus grande joie ?
Un Dieu qui compte les fautes, les manquements aux règles de purification.
un Dieu qui dit qu’on n’est jamais à la hauteur.
Un Dieu auquel il faut demander pardon en se repentant. Et dont le pardon est rare, réduit à une fois par an, le jour du Yom kippour.
Le « salut » « qui est pour tout le peuple le sujet d’une grande joie » est donc d’abord que l’on peut laisser tomber l’esprit de culpabilité, d’insuffisance (ou au contraire de prétention), être dépréoccupé de soi-même, de sa valeur, de ses fautes et se préoccuper plutôt de la « joie » à transmettre.
« lève-toi et marche, va dans ta maison » : cette parole est du même esprit de renouveau, de relèvement, source de joie que celle du pardon.
Lorsqu’on est couché, écrasé par une paralysie, incapable de se relever et de marcher, de faire vivre sa maison, lorsqu’on est tourmenté de complexes divers, de sentiments d’infériorité réels ou imaginaires ou de sentiments de supériorité également difficiles à assumer. Lorsque seuls les antidépresseurs (ou l’alcool, la drogue) peuvent nous faire oublier pour un instant notre introspection névrosante, la parole du salut, la source de la joie est qu’en réalité une force monte en nous, un dynamisme créateur qui est en nous mais qui est plus que nous, nous permet malgré tout, de nous relever et de vivre « dans notre maison ».
Dieu de la joie, de la créativité, du dynamisme créateur.
Cette parole de libération n’est pas liée à une exigence de foi, de fidélité religieuse, d’adhésion à la divinité de Jésus ou à l’existence de Dieu. Elle s’adresse aussi bien aux fidèles pieux qu’aux « incroyants » sceptiques et matérialistes : Jésus n’y parle pas du ciel mais de la vie humaine. Siméon et Anne avaient peut-être des sentiments d’insuffisance ou de culpabilité dans la sainteté de leur vie et les bergers des occasions de conflits avec leur famille, leurs collègues et voisins.
L’apaisement, la joie du « salut » ne vient pas de ce que l’on « croit » en Dieu mais de ce qu’on l’on a entendu – et écouté – la parole de vie qui dit « tu es pardonné, le poids de ton passé ne pèse pas sur toi, lève-toi et marche ».
Le salut ne vient pas du fait que l’on est monté d’un cran dans la valeur humaine, que l’on est devenu meilleur et plus saint. Il est vient d’une vie vécue dans le dynamisme créateur de la plénitude.
Luc, pour écrire cela, a certainement lu ce que Paul avait écrit dans l’épitre aux Éphésiens (3.20) : « la puissance qui agit en nous, peut faire infiniment au-delà de ce que nous demandons ou pensons ».
Imaginez un berger mécréant, anticlérical enragé, auquel on dirait « courage, tiens bon, ne sois pas culpabilisé ou anxieux, lève-toi et marche, va dans ta maison, invite qui tu veux, ce ne sont pas les règlements qui peuvent t’aliéner… »
Et les gens pieux comme Siméon et Anne (et déjà Zacharie le père de Jean-Baptiste) ont autant besoin d’entendre la même parole soulageante, libératrice et dynamisante.
Les récits suivants ne font que poursuivre la même ligne : Lévi le collecteur d’impôts, collaborateur des Romains, méprisé et haï va lui aussi dans sa maison et y invite des hommes pécheurs sans crainte d’être mal jugé et d’ailleurs « beaucoup d’autres personnes » se joignent à eux. Et les disciples mangent et boivent avec Jésus à l’heure de la prière, récusent le sabbat : les hommes sont aimés tel qu’ils sont.
Il semble que les évangélistes aient mis sous forme de petits récits, des mashals à la mode juive, les paroles que Paul enseignait sous forme absraite : « A celui qui peut, par la pusisance qui agit en nous, faire infiiment au-delà de ce que nous demandons ou pensons… » (Ephésiens 3.20)
Conclusion
Si on est enraciné dans la religion, dans le grand système institutionnel religieux de Dieu, c’est très bien. Dieu y est aussi et nous y rencontre comme il a rencontré Siméon et Anne. Et leur a dit la parole de joie « lève-toi et marche, le poids de ton passé ne pèse pas sur toi, mange et bois, réjouis-toi ».
Si on est de ceux qui n’ont pas tellement le temps pour les choses religieuses, qui n’y pensent pas trop, qui n’y croient qu’à moitié : on est comme les bergers dans leur champ.
C’est très bien. Dieu y est aussi, nous y rencontre pareillement et nous dit la parole de joie qui est celle du salut : « le poids de ton passé ne pèse pas sur toi, lève-toi et marche, va dans ta maison, mange et bois, réjouis-toi ».
Vivons donc dans la joie de la liberté intérieure et du dynamisme créateur dont le Sauveur nous parle.
Les textes de Luc 2.10 et Luc 5.17-30
Luc 2.25-32 ; 36-38
Et voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit-Saint était sur lui.
Il avait été divinement averti par le Saint-Esprit qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur.
Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu’ordonnait la loi, il le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit :
– Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur S’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut,
Salut que tu as préparé devant tous les peuples,
Lumière pour éclairer les nations,
Et gloire d’Israël, ton peuple.
Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge, et elle avait vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité.
Restée veuve, et âgée de quatre vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le temple, et elle servait Dieu nuit et jour dans le jeûne et dans la prière.
Etant survenue, elle aussi, à cette même heure, elle louait Dieu, et elle parlait de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Luc 5.17-30
Un jour Jésus enseignait. Des pharisiens et des docteurs de la loi étaient là assis, venus de tous les villages de la Galilée, de la Judée et de Jérusalem et la puissance du Seigneur se manifestait par des guérisons.
Et voici, des gens, portant sur un lit un homme qui était paralytique, cherchaient à le faire entrer et à le placer sous ses regards.
Comme ils ne savaient par où l’introduire, à cause de la foule, ils montèrent sur le toit, et ils le descendirent par une ouverture, avec son lit, au milieu de l’assemblée, devant Jésus.
Voyant leur foi, Jésus dit :
– Homme, tes péchés te sont pardonnés.
Les scribes et les pharisiens se mirent à raisonner et à dire :
– Qui est celui-ci, qui profère des blasphèmes ? Qui peut pardonner les péchés, si ce n’est Dieu seul ?
Jésus, connaissant leurs pensées, prit la parole et leur dit :
– Quelles pensées avez-vous dans vos cœurs ?
Lequel est le plus aisé, de dire : Tes péchés te sont pardonnés, ou de dire : Lève-toi, et marche ?
Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés :
– Je te l’ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton lit, et va dans ta maison.
Et, à l’instant, il se leva en leur présence, prit le lit sur lequel il était couché, et s’en alla dans sa maison, glorifiant Dieu.
Tous étaient dans l’étonnement, et glorifiaient Dieu ; remplis de crainte, ils disaient :
– Nous avons vu aujourd’hui des choses étranges.
Après cela, Jésus sortit, et il vit un publicain, nommé Lévi, assis au lieu des péages. Il lui dit :
– Suis-moi.
Et, laissant tout, il se leva, et le suivit.
Lévi lui donna un grand festin dans sa maison, et beaucoup de publicains et d’autres personnes étaient à table avec eux.
Les pharisiens et les scribes murmurèrent, et dirent à ses disciples :
– Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les gens de mauvaise vie ?