« Ethique du travail et du repos, ce que le commandement du sabbat implique » Pasteur Bruno Gaudelet

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Exemple

« Ethique du travail et du repos, ce que le commandement du sabbat implique » Pasteur Bruno Gaudelet

Publication mise en avant

Lectures : Exode 20.8-11, Deutéronome 5..12-15, Matthieu 7.12, Exode 5.1-23

En cette période de tensions et de discussions sociales ayant trait à la répartition du travail, à sa juste rémunération et à sa durée, il est loin d’être inutile pour les chrétiens de se souvenir des fondamentaux bibliques concernant l’éthique du travail et du repos. Or, où trouver ces fondamentaux sinon au cœur de la Loi de Moïse et de l’Evangile qui constituent pour nous chrétiens la boussole en matière d’éthique ? Regardons ici ce qu’implique le commandement du sabbat et la règle d’or de l’Evangile (Mt 7.12) pour la répartition du travail et du repos, et pour la philosophie biblique de l’existence.

I. Sociétés sédentarisées et répartition du travail

La sociologie a depuis longtemps mis au jour les rouages qui permettent à une société de s’établir et de durer. Parmi ces rouages figurent bien entendu la division et la répartition du travail, dont l’organisation joue un rôle déterminant pour l’établissement et la justification de la morale et de l’ordre établi. Depuis que les chasseurs cueilleurs se sont sédentarisés au néolithique, la division et répartition du travail, et donc des profits, sont la condition essentielle pour la survie de tout modèle social. Impossible de faire société, si on ne répartit pas correctement le travail qui permet la production, son entretien et son développement. Depuis huit mille ans les sociétés sédentarisées n’en finissent pas de se complexifier, de présenter différents modèles et donc de devoir s’organiser au fur et à mesure de leur croissance. C’est la tâche par définition du politique de travailler à ce que la cité, la polis en grec, puisse résoudre les défis et les problèmes que génèrent la croissance, le vivre ensemble et toute organisation sociale. Dans notre modèle de sociétés évoluées, citadines, mondialisées, la division du travail, sa répartition et sa juste rémunération, restent évidemment le fondement essentiel. Les questions relatives à la durée du travail, au chômage, à l’emploi des jeunes ou des seniors, dépendent éminemment des politiques consacrées à la répartition du travail et à sa rémunération.

II. En image de Dieu

Or, dans une société moderne et humaniste, la rémunération du travail n’implique pas uniquement le montant du salaire, mais elle implique la durée du travail `et´ du repos des travailleurs. Le travailleur étant, en effet, avant tout, une personne créée à l’image de Dieu, son existence est unique, il n’en a qu’une. Or, si le travail est un moyen d’épanouissement,  d’accomplissement et d’émancipation, il ne peut être toute la vie des êtres créés à l’image de Dieu. Le fait que la Bible affirme que l’humain est créé à la ressemblance de Dieu signifie que l’humain, homme et femme, est une entité personnelle, tout comme Dieu. Voilà pourquoi l’humain possède, selon la Bible, les traits caractéristiques de la personnalité qu’est la conscience d’être. L’humain peut dire, en effet, « je suis ». Il possède l’intelligence, l’affectivité, la soif de liberté, la sociabilité, la créativité. Il peut entrer de ce fait en communion avec d’autres entités et exercer sa créativité en tous domaines, notamment dans les arts. Le travail est une part importante pour le développement personnel de l’humain et le développement et le maintien de la société, mais le travail ne peut pas être la totalité de la vie humaine sans altérer gravement les autres dimensions de l’être humain et de l’existence humaine.

III. Le repos

Le fait que la théologie de la Création de la Genèse introduise un jour de repos pour Dieu lui-même, est significatif. L’auteur veut ici illustrer et encourager le commandement du sabbat. En instituant ce commandement du sabbat, le monothéisme est la première législation au monde à déclarer que toute la vie humaine ne peut être travail. L’humain doit aussi pouvoir se reposer et avoir du temps pour le culte, pour la vie familiale et sociale, pour les arts et la culture ou simplement pour lui-même, pour épanouir son être créé à l’image de Dieu. Le repos, les vacances, les loisirs, la flânerie …. ne sont pas des récompenses, mais des besoins humains. L’âme et le corps en ont besoin. Et d’autant plus besoin lorsque le corps vieillit. C’est pourquoi, dans une société qui tend vers l’humanisme, comme la nôtre, la rémunération du travail ne se limite pas au salaire mensuel, mais implique la mise en place d’un système de santé efficace pour se soigner et pour augmenter la durée de vie en bonne santé, l’établissement d’un service social, d’allocations chômage en cas de perte d’emploi, la réalisation d’un système de pension pour les retraites. C’est l’ensemble de ce système social qui est la juste rémunération du travail, rationnellement divisé et réparti entre les citoyens et les générations. Les différents acteurs de gauche comme de droite sont convaincus de la rationalité et de l’équilibre de ce système. Là où les opinions diffèrent, c’est concernant le montant de la rémunération du travail, sa répartition entre les générations et le financement de ce modèle social. Du point de vue théologique, le commandement du sabbat et la règle d’or de l’Evangile sont des guides pratiques pour forger l’opinion des chrétiens. Si l’on intègre en effet l’affirmation que l’humain est créé à l’image de Dieu, on admettra, d’une part que toute sa vie ne peut être travail, et d’autre part, que son travail doit être justement rémunéré et justement réparti aussi bien en amplitude et en pénibilité hebdomadaires que sur la durée de sa vie.

Le chrétien, qu’il soit décideur, politique ou travailleur, notera aussi que les deux versions du Décalogue s’accordent sur le fait que le sabbat est ordonné, non pour la seule catégorie des propriétaires, mais également pour les fils, les filles, les serviteurs, le bétail, et même l’étranger immigré. « Tu observeras le jour du sabbat, ainsi que ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante, ton bétail, l’étranger au milieu de toi, … afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi », précise la version du Deutéronome. Le souci du Décalogue dans ses deux versions est celui de la justice pour tous et de la juste répartition et rétribution du travail et du repos. Notons que le commandement du sabbat repose dans la version du Décalogue du livre de l’Exode, sur le modèle de Dieu qui a droit à un jour de repos ; tandis que la version du livre du Deutéronome fait reposer le commandement du sabbat sur le souvenir du dur esclavage des hébreux en Egypte  (verset 15). Les hébreux sont, dès lors, appelés à être plus humains que Pharaon qui exploitait odieusement sa main d’œuvre. Ce double renvoi de l’Exode et du Deutéronome s’accorde évidemment avec la règle d’or de l’Evangile rappelé par Matthieu 7.12 : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes ». De façon plus directe on dira : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse, mais considérez-les comme vous voudriez qu’on vous considère, si vous étiez à leur place ! » La règle d’or de l’Evangile conforte, assurément, le chrétien, la chrétienne, dans la recherche d’une vraie justice sociale qui répartisse le travail et sa rémunération de façon équitable, humaniste et évangélique.

En Conclusion

On dit parfois que Moïse fut le premier syndicaliste de l’Histoire. Ne s’est-il pas présenté, en effet, devant pharaon qui opprimait les hébreux sous un dur et incessant labeur pour réclamer qu’ils obtiennent trois jours de relâche afin d’aller rendre un culte à Dieu dans sa montagne ? « C’est un peuple de paresseux » opposa pharaon ! Eh bien non Monsieur pharaon, la vie des humains ne peut pas être que travail, il leur faut vivre et s’épanouir aussi. La durée de leur vie de travail doit être mesurée à l’échelle de leur vie en général – mais aussi en bonne santé, puisque nous avons des statistiques aujourd’hui en la matière – de leurs forces réelles et de leur dignité de créature façonnées à l’image de Dieu. La répartition du travail entre les individus et entre les générations relève de la justice sociale, mais également de la juste rémunération du travail et de l’humanisation finalement des sociétés. La théologie du sabbat et l’anthropologie biblique qui reconnait une si grande dignité à l’humain, font sens avec la règle d’or, pour toutes celles et tous ceux qui cherchent leur chemin sur ces questions. La loi et l’Evangile restent ensemble notre boussole.

Bruno Gaudelet